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violoniste de l’école de Tartini multiplie les traits ingénieux, les ornemens compliqués et ardus, et son imagination, servie par un mécanisme plus savant, déploie une merveilleuse fécondité. On peut affirmer que toutes les difficultés de l’art de jouer du violon se trouvent en germe dans la musique de Tartini. Élève de Pugniani, qui l’avait été de Tartini, Viotti, qui est mort à Londres le 10 mars 1824, à l’âge de soixante et onze ans, développe dans ses admirables concertos toutes les propriétés du violon, dont il fait un instrument de premier ordre. Ce n’est plus un virtuose qui joue du violon pour faire admirer la souplesse de ses doigts, c’est un artiste inspiré qui traduit les élans de son cœur dans un style sévère et touchant. Viotti occupe dans l’histoire du violon la place que Clementi s’est faite dans l’histoire du piano, ce point lumineux qu’on aperçoit dans toutes les directions de l’esprit humain, et qui semble indiquer la limite de ce qui est beau et vrai. Génie impétueux et bizarre, né à une époque pleine d’audace et de vicissitudes, Paganini imprime à l’art du violon les hardiesses et les singularités puissantes de son imagination. Virtuose prodigieux, il joue du violon comme un prestidigitateur qui fascine et pipe la crédulité du public. C’est un magicien qui rit, qui pleure et qui chante pour vous attirer dans ce cercle fatal où il accomplit ses mystérieuses incantations. Dans le jeu comme dans la musique de Paganini, on retrouve la vigueur, l’individualité qui caractérisent toutes les productions du siècle où il a vécu.

M. Vieuxtemps est né à Verviers, en Belgique, le 20 février 1820. Fils d’un ancien militaire, il a manifesté de très bonne heure son instinct musical. Dès l’âge de quatre ans, il fut confié aux soins d’un bon professeur, M. Leleux, qui développa les heureuses dispositions de son élève. Les progrès du jeune Vieuxtemps furent si rapides, qu’à l’âge de huit ans il fut conduit à Bruxelles, où il fit la connaissance de M. de Bériot. Frappé des rares dispositions que manifestait déjà son jeune compatriote, M. de Bériot lui donna des leçons qui ont eu l’influence la plus heureuse sur l’avenir de M. Vieuxtemps. Au printemps de l’année 1830, M. de Bériot conduisit son élève à Paris, où il le fit entendre dans un concert donné à la salle de la rue de Cléry. M. Vieuxtemps y produisit un très grand effet, et sa réputation depuis lors n’a fait que s’agrandir.

Une des qualités qu’on remarque tout d’abord dans le tafent de M. Vieuxtemps, c’est la puissance et la pureté des sons qu’il tire de son instrument. Lorsqu’il pose avec fierté et noblesse l’archet sur la corde, on dirait tout un orchestre dirigé par la main intelligente d’un artiste souverain. On aime surtout à lui entendre dégager les notes profondes du registre inférieur qui vous emplissent l’oreille d’une sonorité pleine de charmes. Jamais d’hésitation dans l’attaque du son, jamais de frôlement inquiétant de l’archet sur la corde, qu’il caresse alors même que l’artiste s’aventure dans la partie supérieure de l’échelle sonore. Toutefois on peut reprocher à M. Vieuxtemps d’abuser parfois des sons harmoniques sur-aigus dont il se complaît trop à surmonter les difficultés stériles. On pardonnerait plus volontiers au virtuose ces témérités de mécanisme, si elles étaient mieux motivées par la nature du morceau où elles se produisent, si elles étaient un luxe de la fantaisie qui s’abandonne aux hasards de l’improvisation; car il ne faut jamais oublier que les plus grands tours d’adresse ne peuvent s’excuser que par l’idée qu’ils servent à manifester. M. Vieuxtemps a fait du mécanisme du violon une étude patiente et