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actes qu’il est inutile d’analyser. Une ou deux romances agréables, la pastorale du second acte, où se trouve une imitation ingénieuse de la musique du vieux Lully, et une exécution passable ont assuré à l’opéra de Raymond un succès viager dont la postérité n’aura point à s’enquérir.

M. Ambroise Thomas est un musicien distingué qui sait écrire, et dont la main exercée ferait merveille, si l’imagination du compositeur lui fournissait plus abondamment la matière première. Il y a quelques mois, M. Ambroise Thomas a été élu membre de l’Institut, où il remplit la place laissée vacante par la mort de Spontini. Si les opéras de la nouvelle génération passent vite et ne vivent guère que ce que vivent les roses, les chefs-d’œuvre du vieux répertoire semblent au contraire rajeunir tous les jours. La reprise de Joseph de Méhul a été pour le théâtre de l’Opéra-Comique un véritable événement. Voyez un peu à quoi tiennent les succès de ce monde! Joseph est de la même année que la Vestale, c’est-à-dire de 1807. La Vestale a fait le tour de l’Europe, et a valu à Spontini une grande fortune et une renommée qui a pris presque aussitôt les proportions d’une gloire impérissable, tandis que l’opéra de Joseph, fort bien chanté par Elleviou, n’a eu dans l’origine qu’un succès d’estime, qui a laissé planer sur cette œuvre remarquable un voile d’incertitude que l’Allemagne seule a su complètement dissiper. Méhul est, avec Cherubini, Spontini et Lesueur, l’un des compositeurs dramatiques qui remplissent l’époque qui sépare Gluck de Rossini. Né à Givet le 24 juin 1763 et mort à Paris le 18 octobre 1817, Méhul est un artiste vraiment digne de la grande génération qui a fait la révolution de 1789 et qui s’est inspirée de ses principes. Fils d’un pauvre cuisinier, Méhul étudia d’abord la musique sous la direction de l’organiste de sa ville natale. Après une série d’épreuves les unes plus douloureuses que les autres, Méhul vint à Paris, et fut assez heureux pour être mis en relations avec Gluck, qui le prit en affection. Aidé des précieux conseils de ce maître immortel, Méhul s’essaya à composer plusieurs opéras qui ne furent jamais représentés. Après d’autres préludes plus ou moins laborieux, il débuta au théâtre de l’Opéra-Comique par le drame d’Euphrosine et Corradin, qui révéla à la France un grand compositeur dramatique. Après Euphrosine et Corradin, qui fut représenté en 1790 avec un immense succès, Méhul écrivit Stratonice, où se trouve l’un des plus beaux airs de ténor qui existent dans la musique française. Phrosine et Mélidor, Ariodant, l’Irato, le Jeune Henri, dont il n’est resté que la belle ouverture que tout le monde connaît, et qui vaut à elle seule tout un long poème, tels sont les différens ouvrages qui ont précédé Joseph. Nous n’avons pas besoin de rappeler que le sujet de la pièce est tiré de la Bible et que le poète a calqué son récit sur celui des livres saints, moins quelques détails de son invention. C’est au musicien qu’appartient le mérite d’avoir communiqué à cette pieuse légende le souffle de la vie et de l’avoir pénétrée du parfum de la poésie hébraïque. Tout le monde connaît le premier air que chante Joseph : Vainement Pharaon, la romance adorable qui vient immédiatement après : A peine au sortir de l’enfance, l’admirable prière des Hébreux au commencement du second acte, le duo entre Jacob et Benjamin; tous ces morceaux sont du plus beau style. On ne peut disconvenir cependant que, malgré les beautés de premier ordre qui remplissent la partition de Joseph, qui a plutôt le caractère d’un oratorio que celui d’une fable dramatique, on n’y