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offi-, et nous plaignons des hommes graves comme M. Ch. Rogier et M. d’Hoffschmidt d’avoir à subir les harangues de ces messieurs. M. Ch. Rogier surtout, qui, le 18 mars 1851, a pris en plein parlement l’obligation de présenter une loi en faveur de la propriété littéraire, est engagé d’honneur à effacer la contrefaçon de la législation de son pays ; il sait mieux que personne d’ailleurs que cette industrie n’est ni prospère ni convenable pour la Belgique, et il doit avoir le courage de s’associer aux nobles sentimens de M. Ch. de Brouckère, qui a refusé, dit-on, de prêter son appui à la manifestation de M. Cans. Qu’auraient à répondre en effet les pétitionnaires de la contrefaçon, si M. Ch. Rogier leur tenait ce langage : « Outre qu’elle n’honore guère notre pays, que ferez-vous de votre industrie, si le marché étranger vous est fermé, si la France fait un blocus autour de vous ? Ajouterez-vous la contrebande à la piraterie, pour écouler en secret vos produits dans les pays étrangers qui vous seront fermés légalement ? Mais vous savez bien que la contrebande n’est possible qu’avec de gros bénéfices en perspective. Or votre contrefaçon n’enrichit personne ; loin de là, elle a ruiné plus d’une famille, et, si nous comptions bien, elle a absorbé en pure perte plus de sept ou huit millions que vos sociétés en commandite ont su attirer dans leurs caisses. Croyez-moi : il vaut mieux s’entendre avec la France, qui fera vivre votre imprimerie et votre librairie en leur ouvrant un grand débouché, qui vous livrera aussi des œuvres littéraires que vous pourrez exploiter d’une façon légitime. Vous deviendrez ainsi d’honnêtes commerçans. »

Tel est le langage que doit tenir M. Rogier, s’il comprend les vrais intérêts de son pays, et s’il ne veut laisser au parti catholique le mérite de l’initiative dans le parlement. D’ailleurs, le nœud de la question est plus à Paris qu’à Bruxelles. Le gouvernement français est entré dans une bonne voie : qu’il continue ses négociations avec les puissances ; qu’il refuse résolument, comme le voulait le précédent ministre des affaires étrangères, M. Baroche, à qui revient le principal mérite de tout ceci ; qu’il refuse à la Belgique le renouvellement de la convention de 1845, qui lui est indispensable pour alimenter les ouvriers des Flandres et du Hainaut, si elle ne consent pas à abolir chez elle la contrefaçon de nos produits littéraires, et le cabinet de Bruxelles comprendra qu’il est de son honneur et de son devoir d’accorder à la France ce qu’on ne se refuse pas entre honnêtes gens : le respect de sa propriété. Dans un moment où les principes éternels des sociétés sont remis en question par des utopistes d’un autre temps, le gouvernement du roi Léopold n’osera pas se déclarer solidaire des doctrines que professent les démagogues, d’accord en cela sous plus d’un rapport avec les pétitionnaires de la contrefaçon belge. Ce n’est pas tout : le gouvernement français doit rendre inviolable chez nous (il le doit aujourd’hui plus que jamais) la propriété intellectuelle étrangère. Il vient de traiter pour cela avec l’Angleterre : il lui reste à porter à l’assemblée nationale une loi en faveur des œuvres littéraires de l’Allemagne, dont la législation si formelle fera dès-lors respecter les nôtres. Il appartient à la France de prendre cette initiative et de répondre de cette façon aux hypocrites arguties de Bruxelles, qui nous accusent de favoriser chez nous la contrefaçon, que notre gouvernement offre depuis si long-temps de détruire. En même temps qu’elle serait honorable, cette initiative serait une mesure utile à notre librairie, puisqu’elle lui