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vait pas eu pour le broder mal à propos cet esprit d’avocat et de romancier qu’on ne se serait point attendu à trouver en Hongrie comme en France.

ALEXANDRE THOMAS.


Le réseau de négociations dans lequel le gouvernement français, d’accord avec les autres gouvernemens de l’Europe, enveloppe la contrefaçon des œuvres littéraires, n’est pas du goût, on le conçoit sans peine, de la petite tribu qui a ses officines à Bruxelles. Le message du président de la république (il a du moins ce mérite à nos yeux), qui fait connaître officiellement la conclusion de deux traités récens avec l’Angleterre et le Hanovre, qui annonce une convention touchant à une heureuse issue avec l’Espagne ; la nouvelle aussi que la Belgique songe à s’honorer en offrant à la France de rayer de son sein une violation du droit de propriété mise au ban des cabinets conservateurs : tout cela est bien fait, il faut le dire, pour troubler une industrie déjà si près de sa ruine, bien que jusque-là on ne l’eût guère inquiétée dans ses nobles spéculations, « si favorables, dit-elle, à la civilisation et au progrès des lumières ! » Telles sont en effet les niaises prétentions que l’on fait porter par de pauvres ouvriers à un gouvernement sérieux !

On le voit, la contrefaçon, qui écrit peu de sa nature, comme on sait, s’est mise en frais de phrases : c’est qu’elle sent que sa dernière heure approche. Elle s’en émeut, elle s’agite pour la retarder ; elle pétitionne, elle fait, bon Dieu ! des articles de journaux, elle publie des brochures, — en quel style, avec quels argumens ! nous n’essaierons pas de le dire. Un seul exemple suffira pour donner une idée du reste : les écrivains, les savans, les penseurs qui mettent des années à créer une œuvre, el qui veulent vivre de leurs travaux, les éditeurs qui achètent à grands frais, à leurs risques et périls, le droit de publier ces œuvres, sont des monopoleurs ! Le mot est tout au long dans la pétition remise aux ministres de l’intérieur et des affaires étrangères de Belgique, et c’est un représentant de Bruxelles, M. Cans, qui conduisait cette singulière manifestation ! Il est vrai que M. Cans est un représentant sui generis, un représentant comme il n’y en a pas d’autres dans notre Europe, si labourée qu’elle soit par les excentricités modernes. M. Cans est un législateur et un contrefacteur tout à la fois ; il prend part à la confection des lois de son pays, qui font respecter apparemment le droit et la morale en Belgique, et il montre en même temps de quelle façon, en se postant à quelques lieues d’une frontière, on peut violer les lois d’un pays voisin et allié, les éternels principes de la propriété et de la famille humaine. Cependant, tout contrefacteur que soit ce représentant, il a dû, nous aimons à le croire, acquérir quelquefois le droit de publier des livres d’écrivains belges, à moins qu’il n’ait toujours trouvé plus économique et plus simple de s’emparer des œuvres des écrivains français ; d’autres libraires belges signataires de cette fameuse pétition ont pris aussi à Bruxelles des titres de propriété pour certains ouvrages de leur cru. Nous voudrions bien voir la figure que feraient ces grands théoriciens du monopole à la façon des socialistes, si le voisin, trouvant que cela en valût la peine, venait sans façon mettre la main sur leur chose, pour travailler au progrès des lumières ! En vérité, de pareilles bouffonneries ne devraient pas se produire dans le monde offi-