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terdit sur les écoles de l’état ; elle leur a refusé son concours, et les classes ont recommence cette année sans que le clergé voulût nulle part célébrer la messe du Saint-Esprit. Ce refus de concours, par sa rigueur systématique, par les chicanes misérables auxquelles il a nécessairement réduit les autorités ecclésiastiques dont on sollicitait en vain le ministère, par les tracasseries mesquines dont il a été le prétexte, est devenu un véritable sujet d’offense et de scandale pour tous les honnêtes gens. M. l’archevêque de Malines a cru devoir justifier, au nom de l’épiscopat belge, la conduite qui avait été tenue dans cette circonstance. La réponse du ministre de l’intérieur, si péremptoire qu’elle fût, n’a cependant pas découragé M. l’évêque de Liège, qui est revenu à l’assaut avec les mêmes argumens. Pour peu qu’on soit au courant de cette étrange polémique, on comprendra sans peine qu’elle ait aidé l’opinion libérale à se rallier contre des exigences par trop téméraires. Il est impossible à la société moderne de souffrir tranquillement qu’on lui dénie les conditions les plus essentielles, qu’on ébranle les bases les plus sacrées de son existence. La liberté des cultes et l’égalité des droits pour tous les citoyens, à quelque religion qu’ils appartiennent, sont, pour la Belgique comme pour la France, des principes fondamentaux.

En fait, sur plus de quatre millions d’habitans que compte la Belgique, les dissidens sont à peine au nombre de dix mille, dont sept mille protestans. Le clergé, qui ne veut point recevoir dans ses écoles ces rares dissidens, ne veut pas non plus qu’on les admette dans celles de l’état, et lui retire son assistance, parce qu’on n’a point eu égard à de pareilles prétentions ; il ne veut point d’élèves dissidens, point de professeurs dissidens. Qu’on fasse, si l’on a cette envie, des collèges à part pour les protestans ou pour les juifs ; qu’on y entretienne, comme on pourra et si l’on peut, cette population disgraciée : il fermera les yeux ; mais, tout petit qu’est en réalité le chiffre des non-catholiques, quoique ce chiffre insignifiant les rende forcément inoffensifs, le clergé prétend, pour l’honneur de la doctrine, qu’il ne doit point y en avoir un seul dans une école véritablement religieuse. Et comme entre l’église et l’état, les deux grands entrepreneurs d’instruction publique, il n’y a guère de place pour les entreprises particulières, les non-catholiques iront s’instruire, s’il plaît à Dieu, partout ailleurs qu’en Belgique. Puis, à côté de cette proscription décrétée contre les élèves, il y a la domination réclamée sur les maîtres, c’est-à-dire une substitution complète du pouvoir spirituel au pouvoir temporel dans l’enseignement public ; M. l’évêque de Liège a là-dessus une théorie qu’il désigne d’une manière très discrète : il demande l’homogénéité du corps professoral, et le moyen, selon lui, d’obtenir cette homogénéité, c’est d’accorder plus ou moins directement aux évêques la nomination des professeurs. En Belgique, les bureaux d’administration des écoles et des collèges recommandent au choix du gouvernement les candidats qu’ils désirent voir occuper leurs chaires. Ces recommandations n’ont pourtant rien d’obligatoire. L’évêque de Liège revendique pour tout l’épiscopat un droit analogue ; ce seraient les évêques qui serviraient d’intermédiaires à l’état pour juger de la moralité des professeurs et de leurs principes religieux, comme les bureaux d’administration lui servent pour juger de leur capacité. Seulement l’évêque ne pourrait décemment tolérer que le candidat indiqué par lui comme le plus moral ne fût pas le candidat préféré.