Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stacles contre le droit suprême dont elle est naturellement investie. Ce violent conflit entre la légalité positive, qui seule fixe, qui seule détermine le droit, et l’idée révolutionnaire d’un droit indéfini, qui réside confusément au sein de la nation, qui brise et supprime à volonté tout ordre légal, — ce conflit s’est donc élevé sur la loi du 31 mai : il s’est élevé avec tout le sens que lui prête l’expression de M. Victor Hugo. Nous regrettons d’avoir à dire que le président de la république, qui l’a provoqué, aurait voulu le trancher comme l’eût tranché M. Victor Hugo lui-même. Dans toute sa partie politique, le message du 4 novembre n’est que la paraphrase et la glose du mot avec lequel M. Hugo l’a résumé ; le président se déclare pour le droit, principe éternel, contre la loi, forme périssable.

Qu’y avait-il en effet dans le message ? et comment justifiait-il l’abrogation de la loi du 31 mai ? Laissons de côté les raisons tirées de cette peur immense sous laquelle on se figure faire marcher le pays, allons au fond même du litige et de la situation. La loi du 13 mars 1849 n’était point, à proprement parler, l’organisation du suffrage universel ; c’était la consécration presque servile du droit absolu de suffrage proclamé comme une nécessité, comme une conquête révolutionnaire par le gouvernement provisoire. On restait ainsi sous le coup de cette toute-puissance originelle que les doctrines radicales décernent au peuple souverain ; on restait sous le régime tyrannique de ce droit éternel qu’on se plaît à reconnaître aux masses pour en faire la négation de tous les autres droits. Ce n’est pas nous qui parlons ainsi, ce sont les apologistes de la loi de 1840. La loi du 31 mai 1850 a donné une base meilleure au droit électoral ; par cela seul qu’elle le limite et le régularise, elle substitue en principe la souveraineté raisonnable et réfléchie d’un pouvoir législatif à cette vague souveraineté cachée, à ce qu’on nous assure, au plus profond des multitudes. Elle ramène l’exercice des facultés politiques à des conditions plus normales, plus sérieuses, plus dignes d’un véritable citoyen. Elle place la source de la vie politique dans un milieu plus réel ; l’électeur créé par la loi a de son mandat une notion plus pratique, plus certaine que l’électeur enfanté par la victoire du radicalisme. Celui-ci se perd dans la métaphysique qui plane sur ses origines ; à force de représenter et d’incarner le peuple souverain, il se déshabitue d’agir en individu libre et n’use plus de sa prérogative que pour obéir à la consigne qui lui vient des dictateurs du peuple.

Entre la loi du 15 mars 1849 et la loi du 31 mai 1850, il est à jamais déplorable que le président de la république ait fait son choix comme il l’a fait. Le président sans le vouloir, nous l’en croyons, sans se rendre compte de la tendance à laquelle il cède, le président est pour l’idée révolutionnaire et non pas pour l’idée de légalité. Il n’a pas même semblé saisir ce côté si grave de la loi du 31 mai ; il ne paraît pas se rappeler que ç’a été le premier triomphe du gouvernement légal sur la philosophie sociale des radicaux ; il ne veut plus voir là qu’une « véritable mesure de salut public. » Si la loi du 31 mai n’était pas davantage, elle n’aurait été ni si vivement attaquée ni si résolument défendue. Les mesures de salut public passent avec les circonstances qui les ont motivées ; les maximes d’état subsistent autant que les états eux-mêmes. Le principe de la loi du 31 mai est une maxime d’état, c’est la maxime qui ne veut point qu’on accorde aux membres du souverain, comme aurait dit Rousseau,