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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 novembre 1851.

M. Victor Hugo qualifiait l’autre jour, avec toute la pompe de sa parole creuse et sonore, le conflit engagé sur la loi du 31 mai : il l’appelait, et il ne savait pas sans doute jusqu’à quel point il entrait par hasard dans le vrai, tout en faisant une phrase ; il l’appelait le duel de la loi, forme périssable, contre le droit, principe éternel. L’autre jour aussi, non pas en France, mais en Prusse, non pas dans un club ultra-républicain, mais dans un journal ultra-monarchique, la même sentence apparaissait presque sous les mêmes mots, écrite de la main de M. de Gerlach, l’un de ces conseillers irresponsables qui ont été si funestes au roi Frédéric-Guillaume IV. S’abandonnant en aveugle à la fougue de ses passions rétrogrades, comme M. Victor Hugo s’enivre du bruit de son éloquence démagogique, M. de Gerlach recommandait au prince de ne tenir son serment constitutionnel qu’autant qu’il pourrait l’accorder avec les prescriptions du droit éternel, du vieux droit divin des couronnes. Il disait de ce droit des rois justement la chose que dit M. Victor Hugo du droit divin des peuples, du prétendu droit inné au suffrage ; il le déclarait supérieur à toutes les lois positives par lesquelles on pourrait vouloir ou l’on aurait voulu le modifier : Que la légalité positive s’efface devant le principe éternel du droit, que la lettre cède à l’esprit !

Ce rapprochement n’est pas si fortuit qu’il semblerait l’être : il y a maintenant, de tous les côtés en Europe, une disposition pernicieuse à proclamer, pour le besoin d’une cause ou de l’autre, des droits antérieurs et supérieurs que chacun entend à sa façon, et dont tous s’autorisent pour se dégager des strictes obligations du droit formellement établi. Ce ne sont pas seulement les chartes républicaines, ce sont les théories des docteurs et des courtisans de l’absolutisme qui élèvent ainsi bien au-dessus du texte matériel de la loi vulgaire ces droits antérieurs et supérieurs qu’on ne précise pas, qu’on ne définit pas, et dont le vague se prête si merveilleusement aux ambitions chimériques des Césars ou des multitudes. Or, il n’y a point de société possible sous cet