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ni l’Assomption de la Vierge, ni la Présentation au Temple de Titien ne dispensent d’étudier la peinture religieuse dans les écoles de Rome et de Florence. Léonard de Vinci et Raphaël, moins vivans peut-être, moins réels à coup sûr que les maîtres de Venise, sont plus savans, plus purs, plus élevés. A Dieu ne plaise que je conseille à M. Delacroix de renier sa nature, de renier son passé! Il est entré depuis trop long-temps dans la carrière pour songer à une telle métamorphose. Ses œuvres sont trop nombreuses, ses habitudes enracinées trop profondément, pour qu’il puisse sans folie tenter une pareille épreuve. Non, qu’il demeure lui-même; mais, tout en gardant son originalité, qu’il prenne l’avis des maîtres qui ne lui offriront pas, comme Venise, l’image de sa pensée. Rome et Florence ont traité la peinture religieuse avec une habileté, une élévation de style que personne ne peut méconnaître. Lors même que M. Delacroix sentirait que la nature de ses études ne s’accorde pas avec les enseignemens de l’école florentine et de l’école romaine, ce voyage dans le passé ne serait pourtant pas sans profit, car il lui apprendrait à se mieux connaître lui-même; en comparant le style de ces maîtres au style de ses œuvres, il comprendrait tout ce qui lui manque, et le juste orgueil que doit lui inspirer sa vie si laborieuse et si bien remplie ne fermerait pas ses yeux à l’évidence.

A quelque parti qu’il s’arrête d’ailleurs, qu’il demeure fidèle à Venise, ou qu’il interroge Rome et Florence, nous sommes sûrs que sa chapelle ne sera pas une œuvre vulgaire. Quoi qu’il fasse, il n’abdiquera jamais son originalité. La ville de Paris a très bien fait de s’adresser à lui. Il se peut que son œuvre future étonne et scandalise; peu nous importe. J’aime mieux cent fois une œuvre incorrecte, mais vivante, qu’une œuvre correcte et inanimée. De la part de M. Delacroix, nous n’avons à craindre ni froideur, ni vulgarité. Nous pouvons donc attendre en toute confiance.


GUSTAVE PLANCHE.