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situé sur le sommet d’une élévation, domine au loin le pays. On y arrive par un chemin rapide et difficile qui vous amène après un détour à l’ancienne porte seigneuriale, flanquée de deux tours rondes. Sous le porche gothique, une marchande vous vend de petites bouteilles de sable de couleurs variées et des diamans de la haie de Shanklin. On sonne à un guichet, et une autre femme vient vous ouvrir la porte de cette forteresse, dont la garde lui est confiée, sans doute en souvenir de l’héroïque défense de la belle comtesse de Portland. Il n’est pas de pays au monde où le lierre prospère mieux qu’en Angleterre, et dans l’île de Wight en particulier ; aussi on ne doit pas s’étonner que les ruines de Carisbrooke en soient du haut en bas habillées et emmaillottées ; pas une des pierres tombées dans cette cour aujourd’hui si solitaire, et jadis le théâtre de tant de faits dramatiques, qui ne soit cachée sous une épaisse enveloppe de verdure. La dégradation de ce pauvre vieux château dépasse toute idée. C’est vraiment un crime que de le laisser dans cet état. Il n’y a plus une vitre aux fenêtres de la chapelle où naguère encore les maires de Newport recevaient leur investiture du lord-lieutenant de l’île. Quant à la prison de Charles Ier dont il ne reste que le mur extérieur et quelque peu du plancher, on n’y arrive pas sans danger. Comment les Anglais, qui ont laissé voter tant de millions pour bâtir ces deux coûteuses et incommodes inutilités qu’on appelle le tunnel et les chambres du parlement, ne se font-ils pas un cas de conscience d’affecter quelques milliers de livres sterling à mettre dans un état respectable ce lieu témoin de l’agonie de leur roi martyr ? pour être un peu plus restauré, le château de Carisbrooke, à coup sûr, n’en serait pas moins pittoresque.

On peut juger de l’importance que les Romains attachaient à la position de Carisbrooke par un puits qu’ils y percèrent dans le roc et qui a plus de trois cents pieds de profondeur. Ce puits est encore aujourd’hui dans le meilleur état de conservation, et l’eau en est limpide et fraîche. L’âne qui en fait mouvoir le manège ne va pas vite, car il lui faut une heure montre en main, dit-on, pour élever un seau jusqu’à l’orifice. C’est sans doute à cet exercice régulier, sans être violent, qu’il faut attribuer la longévité extraordinaire des innocens animaux qu’on y assujettit ; la plupart d’entre eux ont atteint à Carisbrooke un âge très avancé. On en cite un entre autres qui fit le service de la roue pendant cinquante-deux ans et qui était encore plein de force et de santé, lorsqu’il périt par accident, ayant eu l’étourderie d’aller !)router sur le rempart, d’où il se laissa choir. Son successeur était pensionnaire du duc de Glocester, oncle de George III, qui avait placé sur sa tête une annuité d’un penny de pain par jour. Ce serviteur fidèle fut assez heureux pour en jouir pendant quarante-cinq ans.

Lorsqu’éclata la guerre entre les parlementaires et le roi Charles Ier