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régimentaire. Plusieurs des officiers présens s’étaient distingués dans l’Inde. Le gouvernement anglais n’est pas prodigue de décorations : il n’en accorde que dans des cas fort rares et pour des faits d’armes éclatans. La poitrine de quelques-uns de nos braves convives en était ornée. Rien n’est plus gentleman like que les manières des officiers anglais. On a quitté la table de bonne heure, et aussi raisonnablement qu’on s’y était mis; les jeunes gens me paraissaient pressés de se rendre au bal que le régiment offrait ce soir-là aux dames de Newport et des environs. Comme officier français, j’ai reçu un très aimable accueil du lieutenant-colonel Trolloppe et de son corps d’officiers. J’ai déjà visité plus d’un régiment de l’armée anglaise, et, pour en avoir une très haute idée, je n’avais pas besoin de ce nouvel examen, qui, en m’initiant à quelques nouveaux détails, m’a confirmé dans mon opinion. Je dois le dire en toute franchise cependant, à ce sentiment d’approbation ne se mêlait aucun sentiment d’en vie; car, amour-propre national à part, rien, suivant moi, n’est au-dessus de notre armée et de nos soldats. Lors du séjour de mon régiment sur les bords du Rhin, j’ai profité du voisinage pour examiner de très près les contingens militaires prussiens, autrichiens, et d’autres troupes des différens états de l’Allemagne; si j’en excepte un escadron de cavalerie autrichienne que j’ai vu à Mayence et dont la tenue laissait beaucoup à désirer, je dois rendre justice à la discipline, à la bonne apparence de toutes ces troupes. Leurs officiers sont bien nés et bien élevés, on ne saurait avoir la pensée de mettre en doute leur courage personnel; mais il est fort rare de les voir au courant des détails du service intérieur. Mon observation porte moins sur les officiers anglais, qui me semblent en général approfondir davantage le métier. Je me rappelle avoir visite le quartier d’un régiment de hulans prussiens dans une des villes du bord du Rhin, Coblentz; j’y ai trouvé plus de trois cents chevaux réunis; c’était l’heure du pansage, pas un officier n’y assistait ! Un waguemeister ou adjudant présidait à cette opération si importante dans un régiment de cavalerie. Les officiers, m’a-t-on dit, ne paraissent que lorsque le régiment monte à cheval. Un jeune brigadier très instruit, s’exprimant on ne peut mieux, m’avait conduit partout, et, comme je laissai échapper en le quittant quelques paroles sur ses titres à l’avancement, je le vis rougir et secouer la tête : « Mon colonel, me dit-il, ce n’est pas dans notre armée comme dans la vôtre; je ne suis pas noble, et je n’obtiendrai jamais l’épaulette ! » J’eus le cœur serré de cette réponse, que je me reprochai presque d’avoir innocemment provoquée.

Le fait est que la perspective de ne jamais pouvoir s’élever aux grades supérieurs doit nécessairement paralyser dans les armées étrangères l’ambition et par suite l’élan du simple soldat. Les conditions