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pulvérisaient à la pression de la main d’un enfant ; jamais la fortune publique n’avait été gaspillée[1] avec une pareille impudence. Néanmoins l’ingénieur des travaux ne fut pas puni, et les entrepreneurs furent payés intégralement sans aucune retenue pour les malfaçons. Il faut rappeler, pour l’honneur du reste de l’administration, que le ministre qui, malgré les représentations des inspecteurs des ponts et chaussées, usait de cette indulgence, comparaissait un peu plus tard, pour d’autres actes, devant la cour des pairs.

La partie la plus utile des quais écroulés a été relevée par des mains habiles, et l’état de nos finances a suspendu le complément des travaux. Je ne sais s’il y a beaucoup à s’en plaindre, et, pour dire ici toute ma pensée, j’ai besoin de rappeler que, s’il y a fort à reprendre aux études que j’ai pu faire sur nos côtes, ce n’est pas que j’aie manqué à la mémoire de Vauban. Le barrage écluse, que je ne voudrais point voir relever à Saint-Malo, est la réalisation d’une pensée de ce grand homme. Homère a quelquefois sommeillé ; quandoque bonus dormitat Homerus. On peut d’autant moins refuser à Vauban le même privilège, que les travaux hydrauliques ont parfois des effets dont la prévision échappe à toute la sagacité humaine. Le barrage, tout ouvert qu’il est, serait inabordable sans la protection du môle des Roches-Noires, auquel Vauban n’a pas songé. Des observations personnelles, que je n’ose citer qu’en raison de leur concordance avec l’opinion des marins et d’hydrographes fort expérimentés, m’ont convaincu que, si l’écluse était construite, il serait impossible d’y passer toutes les fois qu’il venterait frais. À quoi bon d’ailleurs un bassin à flot de 100 hectares, quatre fois plus grand que le port de Marseille ? Comment prendre sur une marée le temps nécessaire pour l’entrée et la sortie de bâtimens qui peuvent se présenter ensemble ? pour bien desservir le commerce de Saint-Malo et de Saint-Servan, des bassins à flot veulent être établis sur de tout autres principes, et rien ne sera plus facile que d’en concilier ici les avantages avec le maintien de ceux d’un des meilleurs ports d’échouage du monde.

Vauban a fait trois projets qui se rapportent à Saint-Malo : celui du déplacement des fortifications, celui du canal de la baie du Mont-Saint-Michel à la Rance, et celui du bassin à flot. Les deux premiers auraient accru dans une énorme proportion la production agricole, industrielle, et le mouvement maritime du pays : nous les avons négligés. Le troisième est sans la moindre utilité pour les neuf dixièmes des navires qui fréquentent ces parages : au Ier janvier 1848, nous y avions

  1. Je dis gaspillage et non pas dilapidation, parce que l’ingénieur dont il est ici question paraît n’être coupable que de la plus inconcevable légèreté. La responsabilité de sa gestion remonte donc à ceux qui ont choisi le seul membre du corps des ponts-et-chaussées qui fût capable de conduire ainsi des travaux.