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niveau de nos besoins. À prendre pour base de calcul les importations des six dernières années, nous recevons annuellement de l’étranger pour 12,800,000 francs de fils ou de tissus de chanvre ou de lin. Si d’ailleurs le bon marché de la vie dans des lieux pourvus de communications faciles a quelquefois suffi pour attirer ces génies vigoureux qui organisent à leur origine les grandes industries et en font le patrimoine de certaines cités, Rennes est une des villes dont on doit le moins désespérer. Au XVe siècle, les fabriques de tissus y furent fondées par des artisans normands qui fuyaient les persécutions des Anglais, maîtres de leur pays ; leur émigration prit de telles proportions, qu’en 1422 les vainqueurs s’en alarmèrent et interdirent les relations entre la Normandie et la Bretagne. Malgré cette défense, la ville de Rennes fut en 1411 obligée d’élargir son enceinte pour contenir la multitude de ses nouveaux hôtes. Pourquoi les canaux, les chemins de fer dont nous dotons la Bretagne sans parvenir à l’émouvoir n’attireraient-ils pas des populations plus curieuses d’en profiter ?

Toute formation d’établissemens industriels à Rennes accroîtra le mouvement de la navigation de Saint-Malo ; mais jusqu’à présent la population bretonne, et Dieu me garde de l’en plaindre ou de l’en blâmer, s’est montrée plus apte au travail des champs qu’à celui des manufactures. Il vaut mieux cultiver des dispositions existantes que de chercher à en faire naître de nouvelles ; et si, sans attendre une renaissance industrielle problématique, on s’attachait à développer entre Rennes et la mer le commerce qui s’applique directement à la fécondation des campagnes et à leurs produits, l’exportation des denrées de toute espèce venues par le canal d’Ille-et-Rance et les échanges auxquels elle donnerait lieu profiteraient plus au port de Saint-Malo que n’ont jamais fait ses vieux privilèges.

Les cantons que dessert directement le canal[1] comprennent, sans rien chercher au-delà, une superficie de 187,022 hectares, dont 21,131 sont encore incultes[2]. Le terrain en est exclusivement granitique ou schisteux. Que la tangue ou la chaux viennent l’amender, et l’on verra les défrichemens s’étendre, les jachères disparaître, les prairies artificielles couvrir la nudité du sol, le froment remplacer le seigle, la pesanteur spécifique de tous les grains s’accroître, le bétail se multiplier comme par enchantement. Cette transformation s’est opérée sur le littoral partout où se transporte la tangue, et les landes des Côtes-du-Nord, qui se vendaient, il y a trente ans, sur le pied de 20 à 30 francs l’hectare, atteignent une valeur de 400 fr. dès que des chemins

  1. Ce sont ceux de Dinan, d’Évran, de Combourg, de Tinténiac, de Bécherel, d’Hédé, de Saint-Aubin d’Aubigné, de Liffré et de Rennes.
  2. Matrices cadastrales déposées au ministère des finances.