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irréfléchie sont bientôt atteints et dépassés par les besoins qu’elle développe. Ce sont là des vérités affligeantes, mais l’état moral des classes qui prennent le plus de part aux secours ne les dément nulle part, et l’on ne saurait trop les redire dans un temps où les pauvres ont encore plus de flatteurs intéressés que d’aveugles amis.

Des circonstances physiques, auxquelles il est plus facile de remédier qu’aux erreurs de la charité, sont aussi pour beaucoup dans l’indolence habituelle qu’on impute au peuple de Rennes. Le défaut de ressort et de légèreté de l’air dont on est frappé à l’accès de la ville est l’effet de l’excessive humidité des bas quartiers ; les filtrations des eaux de l’Ille et de la Vilaine au travers d’un sol spongieux y forment de tous côtés des mares croupissantes, et les émanations qu’elles entretiennent relâchent la fibre et réduisent la capacité de travail de l’homme. La remarque n’est pas nouvelle. Au commencement du XIIe siècle, Marbode, évêque de Rennes, aussi peu charitable prélat que méchant poète, reprochait en vers baroques à sa métropole les brumes qui voilaient son soleil et l’apathie de ses habitans[1]. La nature du mal en indique le remède. La ville emploie près du quart de son revenu (122,000 fr. sur 514,000) en subventions à ses hôpitaux et à ses hospices : les classes pauvres se trouveraient infiniment mieux de travaux d’assainissement qui permissent de fermer quelques-unes des salles de fiévreux qu’elles peuplent. Il est encore plus humain de prévenir les maladies que de les guérir, et de répandre la santé et l’aptitude au travail que de secourir l’indigence. L’assainissement des bas quartiers importe d’autant plus que, si d’anciennes industries doivent renaître ou de nouvelles se développer à Rennes, c’est à portée des rivières canalisées qu’elles se fixeront de préférence.

La ville de Rennes n’a pas toujours été aussi inactive qu’aujourd’hui. En 1670, elle fournissait des cordages et des toiles à voile, non-seulement à notre marine, mais même à celles d’Angleterre et de Hollande. La concurrence des corderies que Colbert établit à Brest et à Rochefort commença la décadence de cette industrie ; les Hollandais et les Anglais, voyant qu’on pouvait la déplacer, se mirent à fabriquer des toiles qu’ils préférèrent bientôt aux nôtres, et en 1698 ce commerce était réduit à une mesquine valeur de 80,000 livres. À cette époque, la fabrication du fil à coudre atteignait encore une valeur quadruple[2]. Le travail du chanvre et du lin n’a jamais entièrement déserté le pays, et s’il ne s’y ranime pas, ce n’est point que notre production soit au

  1.  Urbs Redonis spoliata bonis, viduata colonis,
    Plena dolis, odiosa polis, sine lumine solis
    Desidiam putat egregiam spernitque sophiam…

  2. Mémoire sur la Bretagne, par M. de Nointel, intendant, 1698.