Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derrière les remparts qui les auraient mis à couvert, et, dans cette vue, il traça les alignemens des rues de Saint-Servan et la nouvelle enceinte en terrasse de Saint-Malo, dont la pittoresque originalité montre l’étoffe d’un artiste cachée sous le génie de l’ingénieur[1]; il portait ainsi à 21 hectares 38 ares l’étendue de Saint-Malo, qui n’était auparavant que de 16 hectares 10.

La paix, sur le maintien de laquelle comptait Vauban pour l’exécution complète de ses projets, ne fut pas de longue durée. À peine entamait-on l’expropriation des terrains nécessaires aux travaux, que la guerre de la succession éclatait, et, si urgent que fût l’élargissement de l’enceinte, il ne se termina qu’en 1737. Malgré ce grave mécompte, la période à laquelle appartiennent ces événemens locaux fut prospère et glorieuse pour les Malouins. C’est en effet celle où le nom de Duguay-Trouin semait la terreur sur les mers.

René Duguay-Trouin était né à Saint-Malo le 10 juin 1673; il s’embarqua à seize ans : en 1691, sa famille lui confia le commandement d’une frégate de 14 canons, avec laquelle il s’empara, dans la rivière de Limerick, du château de Clare, et brûla deux vaisseaux anglais à l’échouage. C’était son coup d’essai, et il continua si bien que, lorsqu’à l’âge de vingt-trois ans, il fut admis comme capitaine de frégate légère dans la marine royale, il avait déjà pris 482 pièces de canon à l’ennemi[2]. Le reste de la vie de Duguay-Trouin appartient à l’histoire de France. Il mourut le 27 septembre 1736, sans fortune, malgré son expédition de Rio-Janeiro et la multitude des prises dont il avait enrichi son pays. Le manuscrit autographe de ses mémoires est sans contredit la pièce la plus précieuse que possèdent les archives de sa ville natale. Il n’est pas reproduit tout entier dans le livre que tout le monde a lu, et les suppressions commencent dès la première page. « J’ai cru devoir commencer, y dit le célèbre marin, par un aveu sincère des égaremens et des extrémités où m’ont jeté les mauvaises compagnies et mon inclination trop violente pour les femmes[3]. Cet aveu pourra servir de leçon aux jeunes gens pour les engager à éviter de

  1. Projet définitif de Saint-Malo en conséquence des précédens, par M. de Vauban, 5 avril 1700. (Manuscrit accompagné de plans.)
    Placet des maire, syndics et bourgeois de Saint-Malo contre les fortifications de Saint-Servan, avec notes et observations de M. de Vauban en marge et à la suite.
  2. Archives de Saint-Malo. Au nombre de ces prises étaient le Boston de 38 canons, le Sans-Pareil de 50, la Résolution de 58, la Défense de 72, le Delft et le Hauslaerdick, chacun de 54. Quoique officier de la marine marchande, Duguay-Trouin commandait des bâtimens de guerre prêtés par le roi au commerce, et dont il choisissait les officiers et les équipages. À la juger par les résultats et suivant les opinions de Jean Bart, de Duquesne, de Ruyter, cette manière économique de faire la guerre n’est pas la plus mauvaise.
  3. Les mots de ce passage en lettres italiques sont rayés sur le manuscrit.