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être atteinte. « Mais, ajoute Vauban, on n’en peut pas dire autant du côté de la terre ; bien éloigné de là : une armée de douze à quinze mille hommes pourrait facilement l’assiéger et la forcer en moins de huit ou dix jours de temps. » Prenant alors, pour mieux déterminer le système de défense, le rôle d’assiégeant, il place des batteries, et les montre ouvrant en quelques heures la place du haut en bas, puis livrant à un incendie général cet amas de maisons de cinq, six et même sept étages, la plupart bâties en pans de bois, et qui se rapprochent par le haut dans des rues de douze, de dix, de neuf, de huit pieds de large. Tel serait à ses yeux le résultat infaillible d’une attaque bien menée, et il se demande où se réfugierait, dans un pareil désastre, la population resserrée par la mer, poursuivie par les flammes. De l’impossibilité de parer des coups portés de si près, il conclut la nécessité d’éloigner la ligne d’attaque ; il trace donc la ligne de défense de la pointe de Rochebonne à la Rance, sur les hauteurs qui avoisinent Saint-Malo, et, lui donnant cinq quarts de lieue de longueur, il lui fait envelopper Saint-Servan ; il ajoute à cet obstacle celui d’une inondation tendue par l’écluse du bassin à flot, dans lequel il voit une ressource pour la défense au moins autant que pour la navigation. La surface des deux villes ainsi réunies et fortifiées formerait un triangle dont deux côtés seraient gardés par la mer, et, pour en faire le siège régulier, il faudrait deux corps d’armée, qui, tenus par l’interposition de la Rance dans l’impossibilité de s’entre-secourir, seraient en danger continuel d’être écrasés séparément.

Ces combinaisons furent mal accueillies à Saint-Malo : on y fut blessé de voir Saint-Servan admis à une part trop égale dans les avantages de la position pour ne pas attirer une partie de la population, et l’on prévit un abaissement considérable dans le taux des loyers. L’évêché était propriétaire de beaucoup de maisons, et l’évêque fut des plus ardens à réclamer ; on prétendit montrer que le projet ne valait rien. Vauban trouva fort naturel que des bourgeois et même des prélats défendissent leurs intérêts privés ; mais il les releva d’une façon au moins cavalière sur leurs doctrines en matière d’intérêts publics, de sièges et de fortifications ; il traita les maisons de paquets d’allumettes, les propriétaires, sans faire aucune exception pour l’évêque, d’imbéciles, et, opposant les grands intérêts de l’état, du commerce, de la province et de la ville elle-même à ceux d’une minorité aveugle, il représenta de plus fort la nécessité de mettre en état « une ville du mérite et de l’importance de Saint-Malo, ayant un bon port, un gros commerce bien établi, lui attirant une forte jalousie de toutes les villes de commerce de nos ennemis, et, par les courses qu’elle fait sur eux en temps de guerre, les intéressant tous à sa ruine. » Ce port, ce commerce, cette population maritime et militaire, Vauban voulait les développer