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sait comment s’est perdu ce nom qui rappelait son origine. Il est posé sur des roches à pic et isolé de la terre par une profonde coupure, faite d’abord par le retrait des roches tertiaires qui se sont formées en arrière du granit, puis élargie par la main des hommes. Ce fort a été vainement assiégé par les Anglais en 1490 et en 1689.

Au-delà de la Latte et jusqu’au cap Fréhel, la côte ne présente le long de la dangereuse anse des Sévignés qu’un précipice continu, dans les escarpes duquel un grès fin et serré se montre par épaisses assises horizontales. Le cap est aujourd’hui couronné par un beau phare à éclipses dont les rayons portant à 41 kilomètres éclairent à lest l’atterrage de Saint-Malo, à l’ouest la baie de Saint-Brieuc. Ce phare a remplacé un fanal fondé en vertu d’un arrêt du conseil de la marine qui peut servir à mesurer les progrès qu’a faits parmi nous, depuis le mois de février 1718, le système d’éclairage des côtes. L’entretien du fanal était évalué à 2,814 francs, et l’on calculait qu’il fallait, pour y pourvoir, le produit d’un droit de 2 sous par tonneau sur tous les navires se rendant dans les ports ou havres compris entre le cap et Regnéville. Cette perception rendrait aujourd’hui 14,000 fr. Vingt-cinq tonneaux, de houille, à 70 livres l’un rendu au bord de la mer, étaient affectés à l’éclairage proprement dit : indépendamment de la diminution de valeur de l’argent, le tonneau de houille ne coûterait plus dans ces conditions qu’environ 25 francs.

Maintenant que nous avons parcouru la côte, il faut regagner l’embouchure de la Rance. Rappelons, sans remonter à la limite des temps historiques[1], ce qu’a jadis été Saint-Malo, dans la paix, dans la guerre ; voyons ce qu’il est aujourd’hui : l’étude des conditions de la force et de la prospérité de cette terre célèbre mettra en relief les germes dont l’épanouissement lui promettrait un avenir digne de son passé.

Charles VII, ce roi si français par ses qualités et par ses faiblesses, remerciant, dans une ordonnance de 1425, les Malouins d’avoir fait lever aux Anglais le siège du Mont-Saint-Michel, et d’avoir iceux desconfits, leur rend témoignage de s’être toujours montrés entièrement affectionnés à la couronne de France et malveillans envers nos anciens ennemiz et adversaires les Anglais : pour lesquelles causes, ajoute-t-il, et aultres dommaiges qu’ils ont faicts et font chaque jour contre nosditz ennemiz, au lieu de nous et de notre seigneurie, iceux ennemis les ont en haine mortelle. Ces paroles du prince qui chassa de France l’étranger semblent être une prédiction du duel acharné dans lequel, pendant les siècles suivans, Anglais et Malouins se cherchèrent et se prirent tant de fois corps à corps. La mer, la mer lointaine, fut la plupart du temps

  1. M. Cunat, ancien officier de la marine, aujourd’hui adjoint au maire de Saint-Malo, déjà connu par des écrits estimés, prépare une histoire de Saint-Malo qui ne sera pas moins intéressante par le talent de l’auteur que par la nature du sujet.