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peu de choses qui n’aient leur mauvais côté. Le précieux du faire est un mérite considérable, s’il est réservé aux parties capitales d’une composition. Qu’il soit uniformément prodigué à tous les accessoires, il répandra, je le crains, un peu de monotonie sur l’ensemble.

J’ai dit que la satire était, à mon avis, le caractère particulier du talent de M. Gogol. Il ne voit en beau ni les choses ni les hommes : cela ne veut pas dire qu’il soit un observateur infidèle ; mais ses études de mœurs dénotent une certaine préférence pour le laid et le triste. Sans doute ces deux fâcheux élémens n’existent que trop dans la nature, et c’est précisément parce qu’ils se rencontrent si souvent qu’il ne faudrait pas s’appliquer à leur recherche avec une insatiable curiosité. On se ferait une idée terrible de la Russie, de la sainte Russie, comme disent ses enfans, si on ne la jugeait que par les tableaux qu’en a tracés M. Gogol. Il ne nous y montre guère que des imbéciles, quand il ne nous offre pas des coquins à pendre. C’est, on le sait, le défaut des satiriques de ne voir partout que le gibier qu’ils chassent, et il est prudent de ne pas les croire sur parole. Aristophane a beau employer son admirable génie à noircir ses compatriotes ; il ne nous empêchera pas d’aimer l’Athènes de Périclès.

C’est en province que M. Gogol choisit d’ordinaire ses personnages, imitant en cela M. de Balzac, dont les ouvrages ont pu n’être pas sans influence sur son talent. La facilité moderne des communications en Europe a donné aux classes élevées de tous les pays, et même aux habitans des grandes capitales, des manières qui se ressemblent, manières de convention, adoptées par l’usage, comme le frac et le chapeau rond. Cherchez aujourd’hui dans la classe moyenne et loin des grandes villes des mœurs nationales et des originaux ! En province, on a encore des habitudes primitives et des préjugés, chose qui devient plus rare de jour en jour. Les gentilshommes campagnards, qui ne font qu’une fois dans leur vie le voyage de Saint-Pétersbourg, qui, vivant toute l’année dans leurs terres, mangent beaucoup, lisent peu et ne pensent guère, tels sont les types que M. Gogol affectionne, ou plutôt qu’il poursuit de ses railleries et de ses sarcasmes. On lui reproche, m’a-t-on dit, certain patriotisme provincial. Petit-Russien, il aurait je ne sais quelle prédilection pour la Petite-Russie au préjudice du reste de l’empire. Pour moi, je le trouve assez impartial ou même trop général dans ses critiques, trop sévère pour tout ce qui devient le sujet de ses observations. Pouchkine fut accusé, fort à tort à mon avis, de scepticisme, d’immoralité et de satanisme ; pourtant il a découvert dans un vieux manoir sa délicieuse Tatiana : on regrette que M. Gogol n’ait pas eu un bonheur semblable.

Je ne connais point les dates des différens ouvrages de M. Gogol, mais je serais porté à croire que ses nouvelles ont été publiées les