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seaux de haut bord, et les pauvres murailles en briques de la ville semblaient à notre portée ; mais ces images menteuses fuyaient toujours devant nous, et il fallut quelques heures passées à leur poursuite avant qu’elles s’évanouissent, et que la réalité vînt rendre à chaque chose ses proportions vraies.

Il y avait sept heures que nous marchions depuis Hamadi, quand Bender-Bouchir se dessina assez nettement à nos yeux pour que nous vissions combien cette ville était misérable. Arrivés au pied des murs, nous en trouvâmes les portes fermées ; il nous fallut parlementer pour entrer dans la place. L’émotion de la plaine s’étendait jusque-là, et les habitans de Bouchir ne paraissaient pas plus rassurés derrière leurs murailles que n’avaient semblé l’être les raïas des villages devant lesquels nous avions passé. Après quelques pourparlers et des indécisions que le firman royal finit par vaincre, nous fûmes introduits. Nous franchîmes, entre deux canons que leurs affûts brisés mettaient hors de service, la seule porte qui s’ouvre du côté de terre. Cette porte était alors gardée par un poste nombreux de tuffekdjis, et s’ouvrait sur une petite place où s’élevaient quelques cabanes en palmier. De là nous entrâmes dans des rues étroites et tellement désertes, qu’on aurait pu les croire abandonnées par leurs habitans. Ceux-ci étaient sous les armes, et ils avaient barricadé leurs maisons et leurs boutiques, comme s’ils avaient eu à redouter un assaut. Nous demandâmes à être conduits chez le gouverneur Cheik-Nasr, à qui nous étions recommandés. Il était parti pour Chiraz, et nous dûmes nous adresser à son vekil, Cheik-Abdoullah, qui nous indiqua pour logement une maison très considérable, jadis fort belle, mais alors tellement ruinée, que nous ne pouvions y trouver un abri convenable. Il nous était impossible de nous établir dans ce local délabré où il ne restait ni porte ni fenêtre. Nous étions en discussion avec le ferrach-bachi du vekil, quand nous vîmes venir un individu qui avait un extérieur moitié frengui, moitié persan : il nous salua fort poliment, et, se présentant comme agent européen, il nous offrit un logement dans une maison à lui. L’offre était faite de si bonne grace, qu’il nous était impossible d’hésiter, et nous le suivîmes très volontiers. Chemin faisant, il nous apprit en peu de mots qui il était : il s’appelait Aga-Youssef-Malcolm ; ce dernier nom était évidemment emprunté, et notre hôte le portait comme cocarde ; il était Arménien par son père, Français par sa mère, et Anglais par intérêt ; la compagnie des Indes l’entretenait à Bouchir comme agent non officiel, mais cependant reconnu tel par le gouverneur, et ayant qualité pour veiller aux affaires des sujets britanniques dans ce port. Le caractère semi-politique dont il était revêtu lui donnait droit à toutes les franchises usurpées par les balioz de la nation anglaise. En conséquence, aux fonctions d’agent consulaire il unissait des occupa-