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question maintenant d’employer tout cet argent à perpétuer le souvenir des triomphes du Palais de cristal par une fondation durable : on parle d’un musée de l’industrie qui recevrait les produits du monde.

Le Palais de cristal n’est pas la seule invention qu’ait fournie dans ces derniers temps l’intelligence anglaise. La consolidation définitive du télégraphe sous-marin entre Douvres et Calais, la rapidité foudroyante des rapports établis ainsi entre Paris et Londres, voilà bien assurément un autre prodige. Que sera-ce lorsqu’on aura réussi, comme on l’espère et comme on s’y prépare, à jeter d’un bord à l’autre de l’Atlantique ce fil conducteur qui transmet la pensée aussi vite que la pensée travaille? Il semble qu’il ne doive bientôt plus y avoir de distance entre les hommes. La science dépasse toutes les hyperboles poétiques, et elle fait de l’électricité pour les usages de la vie réelle ce que les poètes en faisaient pour la plus grande hardiesse de leurs métaphores. On ne saurait calculer toutes les conséquences de ces rapprochemens incroyables dans la direction de la politique internationale; il n’y aura presque plus de place en affaires d’état ni pour le secret ni pour la surprise. Jusqu’à ce que soit venue l’heure de la politique nouvelle dont sont peut-être grosses toutes ces découvertes scientifiques, le cabinet de Londres s’en tient toujours à ses anciennes coutumes; c’est avec celles-là qu’il travaille encore opiniâtrement aujourd’hui à se frayer la plus prompte route vers l’Orient, la route de Suez. Il laisse lever et spéculer les faiseurs de projets qui se promettent d’aller dans dix ans à Calcutta par Bassorah. Ces projets mûriront à leur tour; cela n’empêche pas d’abréger encore le chemin par où l’on va dès à présent. Il s’agit donc d’avoir un chemin de fer en Égypte. Notez bien que ce n’est pas le gouvernement que l’affaire regarde : c’est une affaire de spéculation privée, c’est une compagnie d’actionnaires; mais derrière les actionnaires anglais apparaît au premier appel la main du gouvernement lui-même, protégeant hautement les intérêts des particuliers, qui se confondent toujours si à propos avec les siens. En thèse générale, l’Anglais le plus excentrique ne se permet point d’aventure qui, d’une façon ou de l’autre, ne rapporte un bénéfice quelconque à la puissance anglaise. Missionnaires, marchands, voyageurs, soldats de louage, les Anglais qui se risquent le plus à l’étranger n’ont jamais nui pourtant à l’Angleterre. Les agioteurs qui placent mal leurs fonds au dehors, les détenteurs des mauvaises créances du Mexique, de l’Espagne, du Portugal, peuvent même fort bien perdre leur argent sans que l’Angleterre y perde. La compagnie du chemin de fer de Suez ne court assurément pas ce danger; le Foreign Office l’a soutenue tout de suite trop directement et d’un trop grand cœur. C’est un incident curieux qui manque bien la nature et le rôle des divers intérêts aux prises dans cette partie de l’Orient.

On sait tout ce qu’il y a de difficile dans les relations de la porte et de l’Égypte. La question du tanzimat, la résistance opposée par Abbas-Pacha au système de réformes que le ministère ottoman veut imposer à l’Égypte comme à tout l’empire crée depuis long-temps un embarras pénible dans les rapports du sultan et de son vassal. Cet embarras s’est encore accru à propos du chemin de fer d’Alexandrie à Suez. Les Anglais ont gagné, près du pacha d’Égypte, la concession du rail-way; les Autrichiens avaient rallié le ministère du sultan à un projet de canal. C’était la concurrence chaque jour plus vive