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Du reste, il est vraiment difficile de ne pas ressentir je ne sais quelle admiration jalouse en contemplant de chez nous ces merveilles de bonheur et d’audace qui accompagnent toutes les tentatives de nos puissans voisins. L’exposition de Londres est arrivée à son terme, et cette immense opération s’est liquidée solennellement, sans qu’il y ait eu l’apparence d’un accident ou d’un encombre. Six millions de personnes ont visité le Palais de cristal pendant les cent quarante jours de l’exposition ; le nombre des visiteurs s’est élevé dans la dernière semaine à cent mille par jour, et la recette des cinq dernières journées monte à plus de 600,000 francs. Le héros indispensable de toutes les grandes fêtes populaires de la nation anglaise, le duc de Wellington, a voulu se mêler de sa personne à l’une de ces invasions en masse : c’était comme un hommage qu’il avait à cœur de rendre au monument le plus extraordinaire de la civilisation nouvelle et du nouvel état de l’Europe. Quel rapprochement, en effet, plus curieux et plus fécond en réflexions de toutes sortes que de voir ce glorieux débris des luttes sanglantes d’il y a quarante ans assister maintenant aux luttes pacifiques de l’industrie universelle comme pour attester par sa présence la succession des âges et relier encore les deux époques malgré leurs différences ! On eût dit qu’on devinait instinctivement dans la foule que la rencontre n’était pas ordinaire. Aussitôt que le bruit de la présence du duc de Wellington a circule de proche en proche à travers le vaste édifice, une incroyable émotion s’est emparée de la multitude des visiteurs ; on s’est précipité pour voir le duc, pour saluer le duc, et peu s’en est fallu qu’il n’arrivât malheur au milieu du flux et du reflux qui poussait les uns sur les autres tant de milliers d’hommes abrités sous un même toit. Le vieux duc n’a pourtant pas eu ce chagrin pour lui troubler son dernier voyage au Palais de cristal ; la fortune ne lui a point failli, et l’on a même remarqué qu’il s’était très lestement tiré de la presse, ce qui a cordialement réjoui les pieux admirateurs du héros et lui a fait crier de plus belle aux oreilles : Hurrah ! et longue vie !

Ç’a été le dernier épisode intéressant de l’exposition, puis est arrivée la clôture. À l’inverse de nos habitudes françaises, cette cérémonie finale s’est passée le plus simplement du monde, et n’a pas en tout duré beaucoup plus d’une demi-heure. L’exposition avait eu son temps et produit son effet ; la pompe qu’on aurait déployée pour couronner l’œuvre n’y eût rien ajouté qu’une dépense sans résultat : c’était un luxe inutile, qui, en affaires, n’est pas dans le goût des Anglais ; on s’en est donc privé très facilement. Il y avait d’ailleurs une disposition assez générale qui commençait à gagner le public, et contre laquelle les pompes les plus somptueuses auraient malaisément prévalu. Ces pompes qui avaient inauguré le grand spectacle étaient alors bien à leur place et dans leur saison. Elles allaient avec l’entrain d’une opération qui commence, Londres avait son soleil de mai, et le Palais de cristal regorgeait de ses merveilles tout fraîchement déballées. En octobre au contraire, on sentait une sorte de tristesse à penser qu’on ne revenait plus se rouvrir un pareil théâtre, et en même temps on aurait souhaité qu’il fût déjà fermé. Les dernières journées avaient été assombries par ces pluies sans fin de l’automne britannique : c’était pitié de sortir du palais sous ce déluge et dans cette boue. Le palais lui-même se dégarnissait rapidement ; les exposans pliaient bagage ; la poussière se mettait et restait aux parties les moins accessibles de l’édifice ; le