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Qu’importe, disent au contraire les courtisans et les conseillers intimes, qu’importe le choix des conseillers officiels? Ce n’est plus à eux qu’il appartient de conduire, encore moins de sauver le pays; ce ne sont plus eux qui sont sérieusement responsables : la responsabilité remonte directement au-dessus d’eux, et là où elle remonte, là doit être aussi l’initiative souveraine, la main dirigeante, dans laquelle tous les ministres possibles ne sont plus (on l’écrit, et c’est flatteur), ne sont plus qu’un jeu de cartes, qu’elle bat comme il lui plait. Les fictions parlementaires sont aussi usées que les fictions monarchiques; il n’y a plus personne à couvrir, et l’argent le plus élevé du pouvoir exécutif ne demande d’ailleurs pas mieux que de se montrer à découvert. Qu’est-ce, après tout, que le parlement lui-même? A quoi sert-il ? à qui peut-il inspirer ou l’affection ou la confiance? — Lisez donc un peu ce qui se débitait encore hier à son sujet. Nous avons besoin d’appeler, de retenir l’attention sur l’étrangeté d’un langage si extraordinaire : quelle que soit la défaveur qu’aient malheureusement provoquée les fautes commises à l’ombre des libertés du régime représentatif, nous ne savons rien de plus propre à relever dans l’esprit public la cause des assemblées délibérantes que le spectacle de la violence injurieuse avec laquelle on les attaque. « Une assemblée, nous dit-on, n’est qu’un pouvoir anonyme; une assemblée ne peut jamais gouverner que par l’intermédiaire d’un grand nom qu’elle choisit ou qu’elle subit; elle ne tient jamais un moment contre la révolution qui tente de la briser; une assemblée enfin, toujours obligée de s’appuyer sur un homme, lui emprunte plus de force qu’elles ne lui en donne, et, séparée de lui, n’est plus bonne qu’à se faire haïr. » Du reste, on ne s’épargne pas pour exciter contre elle toutes ces haines qu’on lui souhaite, et l’on ne s’en remet point à ses seules imprudences du soin de les amasser. Que les ministres soient petits devant le maître, ce n’est point assez pour le zèle de ces séides d’écritoire; il faut pour satisfaire les exigences de leur profonde philosophie et de leur incorruptible politique, il faut que l’assemblée soit exécrable aux yeux du pays, en comparaison du président; il faut que l’assemblée s’anéantisse pour laisser paraître, dans tout son jour et dans toute son intégrité, la puissance tutélaire, unique et providentielle de l’homme du destin.

Connaissez-vous la cause des troubles qui ont agité les deux départemens du Cher et de la Nièvre? Vous imaginiez peut-être que c’était la démagogie socialiste qui enrégimentait ces paysans égarés, et les poussait, bon gré mal gré, sur les grands chemins? Pas le moins du monde : c’est la faute de l’assemblée nationale, comme on disait autrefois : C’est la faute à Voltaire et la faute à Rousseau! L’assemblée, même absente, est ainsi le bouc émissaire sur lequel on rejette, — dans un espoir qui ne se réalisera pas, — non-seulement la responsabilité des crises ministérielles dont on se passe l’agrément, mais aussi la responsabilité de ces complots et de ces émeutes des bois ou des rues auxquels on ne résiste pourtant qu’à la condition de s’autoriser des principes et des hommes de la majorité qu’on outrage. On a ou plutôt on affecte la prétention de parler au pays par-dessus la tête de ses organes légitimes, et de la même façon dont on lui parle en se donnant la mine de supprimer les mandataires qu’il a chargés cependant de parler pour lui, de cette façon cavalière, on s’arroge aussi le droit de parler à sa place et en son nom. On tient les deux