Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’emplacement des terrains aurifères du canton d’Upata offre cet avantage, que l’inondation n’y est que partielle, et permet de travailler pendant l’hivernage aussi bien que pendant la maison de la sécheresse. Le prix de la nourriture ne pourra s’élever à plus de 2 francs par jour. Le voisinage des provinces si riches en troupeaux de la Guyane, de Barcelone et de Cumana, la proximité des Antilles anglaises et françaises, permettront toujours à l’ouvrier de se procurer à des prix modérés tout ce qui est nécessaire à la vie. Le voyage de France aux bouches du Dragon, à Guiria, à Port-d’Espagne, se fera à peu de frais et en peu de temps par les bâtimens français et anglais qui viennent charger du sucre dans les Antilles; la traversée de Guiria ou de Port-d’Espagne à Puerto de Tablas, se fera très promptement, et également à bon marché, par la ligne de bateaux à vapeur qui remonte de Maracaibo à Angostura. L’émigré qui se croira déçu dans ses espérances pourra aisément revenir sur ses pas, s’il ne préfère se livrer à l’agriculture dans une des trois provinces que je viens de nommer, et particulièrement dans la cordillère de Cumana, où la température est semblable à celle du mois de mai à Paris.

Ce sont là des avantages incontestables que possède l’Eldorado, comparé à la Californie. Faut-il néanmoins dès à présent conseiller aux émigrans français de se précipiter sur ces nouveaux terrains aurifères? Je crois qu’il est prudent d’attendre le résultat des travaux de décembre 1851, janvier, février et mars 1852; alors seulement on pourra savoir positivement si la maladie qui a éclaté dans le village de Tupuquen, en janvier 1851, était une épidémie accidentelle ou une fièvre réellement endémique. Pour le moment, ce qu’il importe d’établir, c’est que toute émigration individuelle aurait des résultats funestes. Il en serait de même des sociétés qui ne seraient pas fortement constituées et dirigées. Il faut à chaque société un seul chef, un seul directeur; il faut que les ouvriers, complètement soumis à ce chef, puissent partager la moitié des bénéfices, avec la nourriture et le logement, si l’on n’aime mieux leur assurer, avec un tiers des produits, 25 francs par mois de solde. Il faut que l’emploi des machines fournisse à l’ouvrier, dans le tiers qu’on lui assure, une somme supérieure à celle qu’il gagnerait s’il était isolé, et présente les mêmes avantages aux capitalistes qui feront les fonds de l’opération. On ne doit faire partir aucune expédition avant que les logemens pour les ouvriers ne soient prêts et les machines montées. Une expédition de charpentiers, menuisiers, scieurs de long, accompagnés d’un mécanicien menuisier, doit donc précéder la colonne des émigrans. Enfin toute association de chercheurs d’or devra se dire qu’elle va dans un pays inhabité, où elle ne rencontrera aucune des ressources ou des moyens de communication qui s’offrent dans le dernier des villages de France; qu’elle ne néglige donc aucune précaution, qu’elle ne repousse aucun moyen de succès : le courage et la persévérance ne suffiraient pas là où la prévoyance aurait manqué.


ALPH. RIDE.

Cumana, août 1851.