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pouces, et le soleil me chauffait la tête de toute la force de ses rayons. J’étais heureusement protégé par un double chapeau de jonc, garni d’un mouchoir plié en double, dont une partie retombait derrière la tête et sur chaque côté de la figure ; je portais de plus une double carabine en sautoir ; j’avais un large cimeterre à la ceinture et mes pistolets en bon état. Quelque gênant qu’il fût de marcher en pareil équipage, l’état du pays où je m’aventurais justifiait amplement ce surcroit de précautions.

En passant dans le village de Caicara de Maturin, on m’avait dit qu’il y avait dans l’espèce de désert qui sépare Aguasai de la Soledad une bande de brigands qui attendait les voyageurs partis pour les mines d’or et les assassinait. Sans mépriser cet avis, je n’en continuai pas moins ma route. Le même bruit courait à Aguasai : pendant les courses de taureaux, un individu de mine assez suspecte s’était approché de moi et m’avait demandé du feu pour allumer son cigare, ce que je lui accordai ; il me remercia et entra en conversation. Arrivant immédiatement à me parler de mon voyage et de la compagnie de brigands qui existait dans les plaines, il offrit de me servir de guide et de me conduire par un chemin où nous pourrions éviter les mauvaises rencontres. Je répondis à mon interlocuteur que, loin d’éviter les brigands, mon intention était d’aller les attaquer, de les prendre et de faire immédiatement bonne justice de toute la bande. Cette réponse, faite tranquillement et sans jactance, parut déconcerter le questionneur, qui, malgré lui, cédant à un instinct naturel, prit la défense des bandits. À l’en croire, je n’avais pas le droit de les pendre, et je devais les remettre dans les mains du juge. Je coupai court à la conversation, ajoutant que, si je rencontrais le juge dans les plaines, je le ferais pendre également ; que son devoir lui défendait d’aller courir ainsi, et qu’une fois arrivé sur la table de Guanipa, je ne reconnaissais d’autre droit que celui du plus fort. Mon homme s’éloigna plus ou moins satisfait de ce que je lui avais dit ; il alla se promener du côté de la maison où étaient mes compagnons, et put s’assurer que nous étions bien armés et bien résolus. Dans la conversation, il m’avait dit qu’il parlait pour Maturin, direction opposée à celle que nous suivions ; je soupçonnai qu’il mentait, et on va voir que je ne m’étais pas trompé. Avant d’arriver à la petite rivière de Guanipa, j’avais remarqué sur le sable les passées fraîches d’un poulain et de deux chevaux, et, ayant rencontré un homme à pied qui revenait à Aguasai, je lui demandai d’où il venait ; il me répondit qu’il était sorti d’Aguasai avant le jour pour aller chercher la jument de son maître qui s’était échappée pendant la nuit avec son poulain, mais qu’il n’avait pu la rejoindre, et qu’elle retournait à son pâturage, qui était éloigné de quatre heures de marche. Je lui fis observer qu’il y avait encore la trace d’un autre cheval ; il me répondit qu’il ignorait qui avait pu suivre cette route. De l’autre côté de la Guanipa, je trouvai un ajoupa, et je demandai à l’Indien qui l’habitait si un cavalier, dont je lui fis rapidement le portrait, n’avait pas passé de très grand matin. Il me répondit qu’en effet, sur les trois heures du matin, un cavalier qu’il ne connaissait pas, ayant la tournure et l’équipement que j’indiquais, s’était arrêté pour allumer son cigare. J’en connaissais assez pour me tenir sur mes gardes, mais aussi pour être rassuré sur le danger d’une attaque.

Les brigands ne se battent pas par partie de plaisir ; quand ils soutiennent un combat, c’est qu’ils ne peuvent faire autrement, et j’avais tout fait pour