Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scènes populaires, il n’a rien négligé; chacun des sujets qu’il a choisis est traité avec le même soin. Sa manière de comprendre l’Orient ne rappelle ni Decamps ni Marilhat, et n’a pas moins de charme. J’ai pu comparer les études de M. Gleyre avec les beaux dessins sur papier sensible rapportés d’Orient par M. Du Camp, et mon estime s’est accrue en voyant avec quelle fidélité le peintre avait reproduit tout ce qu’il avait vu. M. Du Camp a fait pour l’Orient, à l’aide du daguerréotype, ce que M. Flachéron avait fait pour l’Italie. Sa collection est une des plus riches, une des plus variées qui se puissent imaginer. Eh bien! à côté même de ces dessins que la lumière trace elle-même sur le papier sensible, à côté de ces images où le soleil remplace l’œil et le crayon, les études de M. Gleyre ne perdent rien de leur valeur. Et quoique M. Du Camp ait choisi avec un rare discernement les morceaux qu’il voulait copier, quoiqu’il ait trouvé moyen de donner aux monumens, aux paysages qu’il transcrivait l’intérêt et l’unité d’une véritable composition, plus d’une fois cependant M. Gleyre. dans la reproduction du même morceau, tout en gardant la même précision, a montré d’une façon victorieuse la supériorité de l’art intelligent sur l’art impersonnel. Tous les esprits éclairés savaient d’avance que le daguerréotype ne détrônerait pas la peinture. Toutefois, la comparaison dont je parle n’est pas dépourvue d’intérêt, car c’est une preuve de plus ajoutée à tant d’autres, et personne aujourd’hui ne peut plus soutenir que le soleil est le plus grand peintre du monde. Dans les images tracées par la lumière, tout est rendu fidèlement, ce qui est un grand point sans doute; mais tous les détails ont la même importance, ce qui est un grand défaut. Pour ne pas le comprendre, il faut ignorer les notions les plus élémentaires de la beauté.

Il y a dans les études rapportées d’Orient par M. Gleyre de quoi travailler pendant dix ans; j’espère bien qu’elles ne resteront pas toujours enfouies dans les cartons; car il suffirait souvent de placer parmi les ruines de Thèbes ou de Memphis deux ou trois personnages pour composer un tableau. Jusqu’ici l’auteur n’a fait aucun usage de ces richesses si laborieusement amassées, et vraiment c’est grand dommage, car Decamps et Marilhat n’ont pas épuisé l’Orient, et je suis sûr que M. Gleyre trouverait dans ses souvenirs de voyage les élémens de nombreux tableaux pleins de grandeur et de nouveauté. Malheureusement il se défie de ses forces, et cette disposition, excellente en elle-même, puisqu’elle rend l’artiste sévère pour ses œuvres, devient un danger lorsqu’elle n’est pas contenue dans de certaines limites. M. Gleyre, pour donner la mesure complète de ses facultés, aurait besoin d’encouragemens, et jusqu’ici les encouragemens ne lui ont pas été prodigués. Le conseil municipal, qui décore tant de chapelles, ne s’est pas encore avisé de lui en confier une. Aussi je ne m’étonne pas