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eût admis le doute sur la culpabilité de Marie ; mais, pour faire prévaloir l’opinion contraire, avait-il besoin de fortifier les graves raisons qu’il en a données par ce qu’on pourrait appeler des raisons de plaidoirie? Tel est, par exemple, le soin que prend Marie de faire retirer de la maison où va s’accomplir le meurtre un lit neuf en velours et une couverture en peau de martre qu’elle veut, dit-on, sauver de l’explosion. Telles sont encore, à quelques jours de la mort de Darnley, ses étranges distractions dans la maison de lord Seyton. Ce sont de ces preuves que la thèse de la complicité fournit sans le vouloir à la thèse du doute. Qui avait fait préparer l’appartement du roi? Les gens de service de la reine et en son absence. Or, quoi de plus simple qu’à l’arrivée, ou deux jours après, Marie veuille y faire quelques changemens? C’est d’une femme, et c’était à propos. Elle trouve dans la chambre du roi un lit en velours noir, tout neuf, qu’on y avait apporté d’Holy-Rood. Le roi, convalescent, devait prendre des bains dans la pièce où il couchait; elle craint que des éclaboussures ne gâtent le lit neuf: elle le fait remplacer par un vieux lit pourpre qu’elle avait accoutumé de porter en voyage[1]. Pour qui a vu des lits du temps, et jusqu’où l’on en poussait le luxe, la précaution, qu’on me passe le mot, était d’une bonne ménagère. De plus, un vieux meuble convenait mieux à un appartement qui ne devait être habité qu’en passant et pour quelques jours. Par une raison du même genre, si ce ne fut un caprice, Marie fait enlever de son lit la couverture en peau de martre. Le mari couchant dans un lit de voyage, il était tout simple que la femme fît ôter du sien un ornement de grand prix, et mît ses meubles en rapport avec la simplicité de ceux du roi. Ce sont là, j’en conviens, des raisons de ménage; mais n’est-ce point de la faute de l’accusation, qui n’a pas négligé de tels faits? Aime-t-on mieux que je fasse valoir l’impossibilité morale qu’une femme, une reine, pense à sauver un lit et un couvre-pied en même temps qu’elle pense à faire assassiner son mari?

Les distractions de Marie dans la maison de lord Seyton peuvent aggraver le crime de la passion, mais ne sont pas des preuves du meurtre. C’est par une lettre de Drury au secrétaire Cecil qu’on en a su l’anecdote. Cette lettre relate, entre autres bruits du jour, « que la reine a fait une promenade à la maison de lord Wharton, et qu’elle s’est arrêtée en chemin pour dîner à Trament, où lord Seyton et le comte de Huntley payèrent une partie qu’ils avaient perdue au jeu d’arc contre la reine et le comte de Bothwell. » Rien ne dit dans ce passage que Marie eût joué à l’arc ce jour-là, et rien n’empêche de croire qu’il s’agissait d’une partie gagnée quelque temps avant le meurtre. Je sais

  1. That wes acustomat to be carit. Déposition de Thomas Nelson, un des serviteurs du roi, qui fut retrouvé vivant sous les décombres de la maison.