Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toux sèche, si faible, dont chaque ébranlement pourtant creusait la mort dans sa poitrine. Toute la journée et la nuit qu’il passa près de nous, nous l’entourâmes de nos soins. Chacun, hélas ! se hâtait de le voir, et lui nous racontait ses projets et ses joies. Après s’être reposé quelques jours à Alger, il allait s’embarquer pour la France; de là, il gagnerait l’Angleterre. Ses soucis avaient disparu; l’avenir lui souriait, et la toux seule interrompait le récit de ses rêves, Nous assistions ainsi à son agonie: nous le voyions mourir, lui qui ne parlait que de vivre, et de vivre heureux. Impression douloureuse, terrible surtout pour des soldats! La mort brusque ne surprend pas, on l’a rencontrée souvent, c’est la destinée; mais voir s’éteindre peu à peu un camarade, un ami, craindre à chaque instant que vos traits ne marquent votre tristesse, n’oser lui dire : « Tu te trompes, tu ne peux plus vivre; » dissimuler jusque dans le dernier serrement de main l’émotion qui vous agite, les plus fermes vous le diront, mieux vaut encore braver le feu des tirailleurs kabyles ou des cavaliers arabes, ce danger de chaque jour et de chaque nuit en Afrique.

Le lendemain, quand notre pauvre ami se disposait à partir avec le convoi de malades et de blessés, au moment où il allait monter sur le mulet qui devait l’aider à s’en aller mourir plus loin, nous étions tous auprès de lui, chacun apportant ce qui pouvait adoucir la fatigue de la marche et l’entourant de son affection. Enfin le convoi se mit en mouvement. Deux heures après, nous quittions Dar-ben-Abdallah pour nous enfoncer plus avant dans le pays. Durant quatre mois, aucune nouvelle ne parvint à la colonne; enfin, comme nous approchions de Boghar, à quatre-vingts lieues de la, nous apprîmes que Thomas Moore avait cessé de vivre.


PIERRE DE CASTELLANE.