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cache par Dieu dans les formes de la femme plus puissant encore. Ils ont fait briller à ses yeux la pierre, larme du soleil, dont l’éclat l’enivre. Toujours ces maudits nous préparent des embûches; mais leur malice est sans force contre la sourate[1] du prophète. Dès que tu la prononces, le démon s’enfuit plus prompt que le voleur de nuit quand il entend la voix du maître.

— Ainsi, en vérité, tu crois aux génies?

— Comment douter de ce que j’ai vu; les génies m’ont frappé. Un jour, j’avais oublié mon talisman, je n’eus pas le temps de répéter la sourate, je tombai foudroyé, et sans Hamed-ben-Hameur, à qui Dieu a donné l’intelligence des choses cachées, et qui est puissant dans la science des merveilles, je serais encore sous le joug du démon. Louange à Dieu, dont le serviteur m’a retiré du mal !

— Il est singulier, me dit Moon; quand le khodja eut cessé de parler, il est singulier de retrouver à des distances aussi grandes le même besoin de merveilleux, la même croyance à des êtres intermédiaires entre nous et la terre, la même foi dans les enchantemens. Je me rappelle avoir entendu raconter en Irlande des histoires de génies; mais là-bas ils ne demeurent point sur terre : la mer est leur demeure. La tradition assure que des îles habitées par ces créatures mystérieuses apparaissent de temps à autre à la surface des eaux. De Dublin, lorsque le temps était clair, on les apercevait parfois; jamais on n’avait pu y aborder, lorsqu’en 1674, le 2 mars, un certain John Nisbett. aïeul de celui qui me racontait l’histoire, se trouva pris par un brouillard affreux. Ce brouillard dura plusieurs heures, et, quand il se dissipa, les marins se trouvèrent près d’une terre inconnue. Comme ils n’avaient que quatre brasses d’eau, ils se décidèrent à jeter l’ancre, et la moitié de l’équipage fut envoyée pour reconnaître l’île. A un mille de la côte, après avoir traversé un petit bois, ces éclaireurs trouvèrent des bestiaux, des chevaux, des moutons paissant tranquillement l’herbe verte; au-delà, ils virent un grand château, mais personne ne répondit à leurs voix. Comme le vent devenait froid, les marins se mirent à l’abri sous un vieux chêne, et firent un grand feu. Ils discouraient paisiblement, quand

  1. Voici comment la sourate, formule d’exorcisme, fut révélée au prophète. Un Juif maudit, nommé Labeid, ayant, par un art magique, attaché le prophète Mohamed à l’aide d’une corde formée par onze nœuds, Dieu ordonna au prophète de répéter les paroles suivantes : « Dis : Je mets ma confiance dans le maître des hommes, roi des hommes, dieu des hommes, contre la malignité du perfide souffleur qui souffle dans le cœur des hommes, et contre la malignité des génies et des hommes.
    « Dis ; J’ai recours au maître du malin contre la malignité des êtres qu’il a créés, ainsi que contre la malignité de la lune, contre sa vertu de ténèbres, contre la malignité des femmes qui font des vœux en soufflant, et contre la malignité de l’envieux quand il veut nuire. »
    A chaque verset, un nœud tombait, et le prophète resta libre des atteintes du génie.