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de la France, ces autres proscrits de l’époque. Le grand livre de la dette publique d’Amsterdam ; le plus lourd de l’Europe après celui de l’Angleterre, se remplit d’inscriptions de rente des capitalistes français. La Hollande ne figure plus aujourd’hui au nombre des premières puissances maritimes. Le temps n’est plus où cette petite nation, de deux millions d’ames avait entamé l’unité de la monarchie espagnole et où cette race de marchands, comme l’appelait dédaigneusement Louis XIV, soldant les coalitions contre le grand roi, lui opposait dans Guillaume III un adversaire acharné ; le temps où la Hollande dictait chez elle des traités de paix et convoquait à La Haye, à Nimègue, à Utrecht les plénipotentiaires de l’Europe. L’ancienne splendeur de la république néerlandaise ne vit plus guère aujourd’hui que dans les souvenirs populaires ; ce sont les ouvriers et les jeunes gens des écoles qui chantent maintenant la gloire de leurs pères ; c’est dans la mémoire des jeunes filles que se conservent les chants nationaux inspirés par les hauts faits de l’héroïne de Harlem[1], le courage du bourgmestre de Leyde[2], les victoires du Taciturne, de Tromp et de Ruyter, les drames sanglans d’Oldenbarneveld et des frères de Witt ; touchante puissance de la tradition qui place dans les cœurs des enfans les souvenirs des morts !

L’époque si féconde en nobles exemples de patriotisme et de courage était celle aussi où Grottus, Bynkershoek, Doneau, banni de la France, traçaient le code des nations, où l’école de Leyde, remplaçant celle de Bologne, recevait les étudians accourus de tous les pays, où les presses de Harlem inondaient l’Europe de livres prohibés, où Amsterdam était le grand marché du change, l’entrepôt du commerce de blé et des produits coloniaux, où les navires hollandais allaient s’affréter dans tous les ports. Deux siècles de cette prospérité maritime pouvaient seuls produire l’énorme accumulation de capitaux qui aida ce peuple parcimonieux à traverser les cinquante dernières années. C’est l’histoire de ce demi siècle, c’est surtout la situation née en Hollande des crises diverses qui l’ont rempli, que nous voudrions retracer. Depuis cinquante ans, la Hollande a traversé victorieusement trois crises formidables, dont chacune aurait pu amener la ruine d’une nation moins confiante dans ses destinées : — 1810, 1830, 1843. À quelles épreuves ces crises ont mis la patience proverbiale et l’infatigable activité du

  1. Hooft Hasselar, qui conduisait les femmes armées sur les remparts de la ville, et qui apposa une résistance vigoureuse aux assiégeans espagnols en 1572.
  2. Au moment où la famine dévorait la ville de Leyde, assiégée par les Espagnols en 1574, les bourgeois cernèrent d’hôtel de ville et demandèrent du pain ou la reddition de Leyde. Le bourgmestre de Werf marcha au-devant des mutins et leur dit : « Je n’ai pas de pain à vous offrir, mais prenez mon corps et partagez-le entre vous. » À ces paroles, les bourgeois reprirent courage, et bientôt après la ville fut délivrée par l’arrivée du prince d’Orange.