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au service; mais les chaous du bureau arabe avec leurs bâtons surent fort bien se tirer d’embarras et faire arriver à chaque corps les mets qui lui étaient destinés, tandis que Bel-Hadj, ses fils et leur tribu rendaient ainsi hommage à la souveraineté de la France.


II.

L’influence de Mohamed sur les Beni-Ouragh était due autant à une conduite habile qu’au prestige des souvenirs de race. Le jeudi de chaque semaine surtout, le patronage de ce chef s’exerçait dans sa plénitude, sous la surveillance de l’autorité française, et un observateur attentif pouvait, durant cette journée de marché, tout en assistant à l’un des plus curieux épisodes de la vie arabe, se rendre compte du double but atteint par l’établissement des postes-magasins. Le petit fort du Khamis, dépôt de munitions et de vivres, construit, comme tous nos postes de l’intérieur en Afrique, sur une ligne parallèle à la mer, permettait à nos colonnes de s’avancer durant la guerre sans traîner à leur suite un lourd convoi; il les rendait enfin aussi mobiles que l’ennemi. Placés sous le commandement d’officiers choisis, ces postes servaient d’éclaireurs pendant la paix. Se trouvant au centre des nouvelles et des rapports, ayant une police spéciale, les officiers devaient rendre compte des moindres symptômes d’agitation qui pouvaient se manifester parmi ces turbulentes populations des montagnes. Aussi tous les postes avaient-ils été établis près d’un marché, car en Afrique le marché n’est pas seulement un lieu de transactions, c’est surtout le bazar des nouvelles, et pas un Arabe ou un Kabyle ne manque d’y assister. Le jour du marché, quittant leur repos et leur silence, on les voyait, Kabyles et Arabes, arriver de tous côtés, des montagnes, des vallées, de chaque sentier, les uns conduisant des moutons, d’autres des bestiaux, plusieurs amenant des charges de blé, les fèves, la laine ou l’étoile fabriquée, mais tous en armes, beaucoup même venant seulement avec leurs fusils et ce bâton noueux dont un seul coup rompt les têtes les plus dures. Le Juif au turban sale poussait, lui aussi, ses mulets écorchés, et déballait ses caisses à la place que le caïd préposé à la police lui faisait indiquer, dressant sa petite tente en mauvaise toile de coton pour les mettre à l’abri du pillage. Presque toujours les premières heures étaient uniquement consacrées aux transactions du commerce. Les bouchers dépouillaient les moutons qu’ils avaient égorgés en prononçant la formule du Koran, besmelah, louange à Dieu, et suspendaient les chairs a leurs étaux formés de trois petits sapins, dont les branches coupées à deux pouces du tronc servaient de crochets. Les propriétaires de bestiaux se tenaient accroupis auprès de leurs bêtes, attendant l’acheteur. Le marchand de