bouffées de tabac, il reprit, en me montrant du doigt un de mes chevaux attachés tout près de nous :
— D’où vient ton cheval gris?
— Du Cheliff.
— Les chevaux du Cheliff sont bons, mais ceux de la montagne valent mieux; ils sont plus lestes et plus adroits.
— Tu dis vrai.
— Pourquoi n’en achètes-tu pas un?
— Ceux que l’on amène au marché sont mauvais.
— Veux-tu que je t’en cherche?
— Non. j’ai le temps.
Il y eut encore un nouveau silence, pendant lequel Caddour sembla de plus en plus occupé de sa pipe; enfin, comme moi aussi j’avais l’air de songer à autre chose, il fallut qu’il parlât,
— Si je te trouvais un cheval semblable à mon cheval bai, tu donnerais bien deux cents douros[1]?
— Non, ton cheval et ta mule ne valent pas plus de cent vingt douros, et le cheval seul n’en vaut pas quatre-vingts,
— Quoi ! Par ma tête, ton œil pour les chevaux a donc un voile? La jument du prophète n’en a jamais enfanté un dont le pied fût plus sûr. Il sait attendre l’eau des journées entières; c’est un de ces chevaux au jarret vigoureux qui disent à l’aigle : « Descends, ou je monte vers toi. »
Pendant que, sous prétexte de défendre l’honneur de son cheval, il me disait toutes ces belles paroles, je fis signe à mon ordonnance de m’apporter un sac d’argent que je destinais à l’achat d’un cheval. Quand le chasseur me le remit, je le laissai tomber comme par maladresse, et les douros roulèrent sur le tapis. Les yeux de Caddour étincelèrent.
— Tu as là beaucoup d’argent. Qu’en veux-tu faire?
— Tu te trompes; il n’y en a pas beaucoup. J’envoyais ce sac au commandant; mais, grâce à ma maladresse, le voilà sur le tapis. — Puis, comme me ravisant, moitié riant, moitié sérieusement : Ma foi, si tu le veux, je prends ton cheval et ta mule; toi, tu prendras cet argent.
— Combien y a-t-il?
— Compte, si cela t’amuse; pour moi, je le sais.
Caddour se mit à compter les pièces une à une, les touchant avec délices, se grisant à la vue de l’argent, et quand il eut fini et répété entre ses lèvres : Cent vingt douros! — il me dit :
— Mon cheval et ma mule valent deux cent cinquante douros.
— Tu crois? Moi, je ne pense pas. S’il en est ainsi, tu aurais tort de
- ↑ Le douro vaut 5 francs 40 centimes.