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— Rien de nouveau, mon lieutenant, me dit le maréchal-des-logis, et, selon l’usage militaire, il attendit, le carnet à la main, que je lui fisse connaître les ordres.

— C’est bien, répondis-je; demain soir, à l’appel du pansage, je passerai une inspection générale.

— A quelle heure, reprit-il lorsqu’il eut fini d’écrire, la corvée du fourrage?

— Elle aura lieu en même temps que celle du poste. L’adjudant de la légion vous informera de l’heure prescrite par le commandant. Un tiers des hommes restera; vous veillerez à ce que les autres choisissent du bon chaume et bourrent bien les sacs. Il faut profiter du repos pour remettre nos chevaux en état. Nous avons eu deux cents rations d’économie dans les deux premiers mois du trimestre, nous n’avons pas à craindre le trop perçu[1] : vous forcerez donc le prochain bon de fourrages, et l’on donnera un quart d’orge de plus aux chevaux que je désignerai demain après l’inspection. Quel est le brigadier de jour?

— C’est Jacquet.

— Vous lui direz de faire une ronde cette nuit à une heure; il me réveillera et m’en rendra compte.

— Vous n’avez pas d’autres ordres, lieutenant?

— Aucun.

Portant alors la main à son phécy, petite calotte rouge qui remplace le bonnet de police dans les régimens de chasseurs d’Afrique, le maréchal-des-logis passa le long des tentes pour prévenir les chasseurs, afin qu’ils pussent commencer dès ce moment, si bon leur semblait, à mettre leurs effets en ordre. Ayant jeté un dernier coup d’œil sur notre bivouac, je traversai la planche qui servait de pont pour pénétrer de ce côté dans l’intérieur du poste. — Tout autour d’une cour carrée, ayant au centre pour unique ornement un débris de colonne romaine et un cadran solaire, on avait construit des baraques où l’infanterie couchait dans de mauvais hamacs, les trois chambres réservées aux officiers, et le petit pavillon composé de deux pièces, pompeusement surnommé le palais du commandant supérieur. Les magasins et l’hôpital se trouvaient dans une seconde cour, près de la rivière. Le lieu, comme on le voit, était loin d’être gai. Seul, un grand arbre, soigneusement conservé, reposait un peu le regard et abritait la maison du commandant. Cet arbre était devenu le rendez-vous général, le salon du camp. Là, tout en buvant l’absinthe, boisson favorite de l’armée d’Afrique, les officiers de la légion étrangère venaient, le poids du jour passé,

  1. Les bons que les officiers remettent aux comptables pour toucher les rations allouées aux hommes et aux chevaux se règlent tous les trois mois, et tout ce qui dépasse l’allocation réglementaire est imputé à l’officier signataire du bon, qui rembourse l’état par une retenue de solde.