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quand il vit que cette dernière chance lui échappait, il ne songea plus qu’à faire payer cher la victoire et à harceler le vainqueur. Réduit à la nécessité de se jeter dans une guerre de partisan, il soutint long-temps une lutte héroïque contre les trois plus grandes puissances de l’Europe. Les quelques soldats qui lui étaient restés fidèles finirent, eux aussi, par l’abandonner, et, après avoir accepté la capitulation offerte par le pape, François Ier et l’empereur, il se retira de nouveau à Mantoue, auprès de la duchesse sa femme, à laquelle il donna, en échange des bijoux qu’elle avait vendus pour lui, soixante-quatre étendards enlevés à l’ennemi dans cette campagne. La paix générale de l’Italie, négociée en 1529, vint enfin mettre un terme aux agitations politiques et aux guerres qui avaient marqué jusque-là le règne du quatrième duc d’Urbin. Dès-lors, François-Marie sut maintenir son indépendance sans recourir aux armes, et, pendant les neuf dernières années de sa vie, il ne quitta plus le duché que pour entreprendre quelques voyages diplomatiques,

M. Dennistoun, dans le brillant tableau qu’il a tracé de la vie de François-Marie, s’est attaché surtout à faire ressortir les exploits guerriers qui la signalent. Toutefois, le successeur de Guidobaldo ne fut pas seulement un infatigable soldat, un intrépide capitaine. Son caractère inébranlable et l’excès de son courage donneraient l’idée d’une sorte de Charles XII italien, si l’on oubliait de remarquer quelques points de dissemblance qui ne sont pas à l’avantage du héros suédois. Rien, par exemple, n’autorise à penser que celui-ci ait fait trêve à ses préoccupations ordinaires pour s’intéresser à la poésie et aux arts : le duc d’Urbin, au contraire, trouvait le temps, même au milieu de ses anxiétés ou de ses désastres, de correspondre avec l’Arioste, qui mettait alors la dernière main à son Roland, avec Michel-Ange, chargé, comme on sait, par la famille della Rovere d’élever à Jules II ce tombeau colossal dans la composition duquel le Moïse n’entrait primitivement que comme accessoire. Plus tard, il donnait à Titien le nom d’ami, et les magnifiques portraits du duc et de la duchesse qui ornent aujourd’hui la galerie des Offices à Florence montrent de quelle façon le grand peintre savait reconnaître cette amitié. Il achevait aux portes de Pesaro le palais de l’Imperiale, s’efforçait d’y faire revivre les mœurs littéraires de la cour de ses ancêtres, et rappelait auprès de sa personne les savans qu’avait protégés Guidobaldo, mais que les troubles et la guerre tenaient depuis long-temps éloignés du duché. Beaucoup d’entre eux s’étaient un peu pressés de fuir et de contracter ailleurs des engagemens plus fructueux; quelques-uns même, en acceptant les bienfaits des Médicis, s’étaient, à l’imitation de Bembo, rangés assez ouvertement du côté des persécuteurs de François-Marie : cependant, lorsque ses affaires commencèrent à être en situation meilleure, ils parurent se souvenir davantage des liens qui