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songea plus qu’à se débarrasser des nouveaux alliés qui l’avaient aidé à la prendre, et dont quelques-uns commençaient à faire sonner un peu haut leurs services. A peine entré dans Sinigaglia, il fit étrangler les principaux d’entre eux, et cet acte de perfidie atroce, que la relation de Machiavel présente froidement comme une mesure conseillée par la politique, qu’Alexandre VI osa approuver hautement, acheva de montrer au peuple du duché et à l’Italie tout entière en quelles mains était tombé le sceptre de Guidobaldo.

Tandis que le nouveau duc d’Urbin s’enivrait de son triomphe et se délassait des fatigues qu’il lui avait coûtées dans des plaisirs aussi monstrueux que ses crimes, Guidobaldo errait de Mantoue à Venise, et sollicitait vainement la protection du roi de France. Plus de sept mois s’étaient passés déjà sans que sa cause trouvât de défenseurs, lorsque la mort d’Alexandre VI vint subitement changer la face des choses.

Abandonné de Louis XII, qu’alarmait enfin cette ambition insatiable, César rampa quelque temps sous la faveur douteuse du pape successeur de son père; mais Pie III mourut après un règne de quelques semaines, et l’élection de Jules II, intime ami de Guidobaldo, acheva de ruiner les espérances de l’usurpateur. Il comprit que le moment était venu de descendre d’un trône d’où il serait infailliblement précipité. Il fit plus : il sollicita de Guidobaldo une entrevue qui ne lui fut pas refusée. S’humiliant alors devant sa victime, il demanda à genoux le pardon de ses crimes, auxquels il donna pour excuse sa jeunesse, l’iniquité de ses conseillers et les ordres d’Alexandre, qu’il qualifia sans hésiter de « brutal et d’impie[1]. » Guidobaldo savait de reste à quoi s’en tenir sur l’étendue de cette obéissance filiale : il accueillit cependant l’expression d’un repentir qui devait trouver Jules II beaucoup plus incrédule; mais, tout en pardonnant, il n’entendait sacrifier que ses ressentimens personnels, et il s’empressa de réclamer les livres et les tableaux transportés à Forli. Cette restitution accomplie, Guidobaldo perdit jusqu’au souvenir des outrages passés, et ne vécut plus

  1. Baldi. Vita di Guidobaldo I°. — On voit encore à Cagli une pointure à fresque que Guidobaldo II, cinquième duc d’Urbin, fit exécuter par Taddeo Zuccaro pour consacrer le souvenir de cette entrevue. César Borgia, dont la posture est conforme au récit de Baldi, y a l’apparence d’un homme mince et élégant, aux cheveux un peu roux, aux traits plutôt fins qu’énergiques. Fort différent du portrait de la galerie Borghèse à Rome, portrait, soit dit en passant, attribué à tort à Raphaël, le César peint par Zuccaro ne ressemble pas davantage à l’homme dont Giovio a décrit l’aspect en ces termes : « La teinte livide et les pustules qui couvraient son visage trahissaient à la fois l’impureté du sang qu’il avait reçu et ses propres vices. Le feu jaillissait de ses yeux profondément enfoncés, et son regard de vipère effrayait jusqu’à ses amis….. » Voilà bien le fils d’Alexandre tel qu’on se le figure, mais non pas tel que nous le montre la fresque de Cagli: il semble au contraire que chez César Borgia, comme chez Saint-Just, l’extérieur fut en désaccord complet avec le caractère et les actes.