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conséquence directe, si en un mot l’on imputait aux peintres du XVe siècle les erreurs de ceux du XVIIe siècle, en oubliant de tenir compte du rôle intermédiaire des grands maîtres. Sans Luca Signorelli, qui peignit à Orvieto le Jugement dernier, qualifié de nos jours par quelques esprits un peu exclusifs d’innovation matérialiste, peut-être Michel-Ange n’aurait-il jamais accompli les prodiges de la chapelle Sixtine; peut-être aussi Raphaël serait-il resté inférieur à lui-même dans sa Bataille de Constantin, s’il n’avait été secouru par les exemples de Pietro della Francesca. Il serait facile en effet de déterminer plusieurs points de ressemblance entre la fresque du Vatican et celle de l’église d’Arezzo : l’une est plus généralement admirée que l’autre, et c’est justice; mais la Défaite de Maxence n’en demeure pas moins une œuvre très remarquable, le plus ancien tableau de bataille de l’école italienne, digne sous plus d’un rapport d’être compté parmi les meilleurs. La mêlée des combattans, leurs gestes, l’expression de leurs visages, y sont rendus avec une apparence de vérité toute nouvelle et avec une grande force dramatique. pourtant, quelque mouvementée que soit cette composition dans l’ensemble et dans les détails, on y sent beaucoup moins la hardiesse irréfléchie de la verve que l’opiniâtreté du raisonnement. L’aspect enchevêtré des lignes générales est le résultat de combinaisons patientes au moyen desquelles le sens de chaque partie contrarie celui de la partie voisine, de manière à simuler l’exactitude de l’imprévu pour ainsi dire. Le caractère des ajustemens est aussi soigneusement étudié, et les costumes, sans être encore parfaitement conformes aux monumens de l’antiquité. révèlent déjà une recherche assidue de la fidélité historique. Enfin, comme la science de la perspective, la science des raccourcis est plus évidente dans cet ouvrage que dans aucun de ceux des peintres antérieurs.

Jusque-là on avait regardé comme une difficulté à peu près insurmontable la représentation des formes fuyantes ou modifiées en raison de la hauteur du point de vue. Faute d’étude ou d’attention, on n’osait figurer dans un espace de quelques pouces des objets dont la longueur réelle eût été de plusieurs pieds, et l’on se contentait le plus souvent de les placer de manière à en laisser voir la dimension complète. Un corps couché, par exemple, se dessinait dans un sens parallèle à la base du tableau. Un bras levé, une tête renversée, n’affectaient guère que des positions conformes à cette règle, et l’on évitait ainsi les lignes précipitées, les parties à modeler en raccourci. Pietro della Francesca se proposa au contraire de nécessiter par l’attitude de ses figures l’inégalité de proportion des détails. Il ne recula pas devant l’étrangeté que pouvait offrir l’aspect de formes diminuées ou renforcées à dessein, et, selon sa coutume, il rechercha dans les mathématiques les lois de cette nouvelle vérité pittoresque. Quelques-uns des travaux entrepris par lui