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qu’elle n’en comporte déjà : il s’adjuge une étoile. Toute la sagesse pratique dont il a donné tant de preuves ne l’a pas débarrassé de cette fausse religion qui n’est bonne qu’à exterminer toute sagesse. Par un curieux mélange d’inspirations contraires, il est en même temps dévot par rapport à lui-même et avisé par rapport aux autres : quand sera-t-il assez avisé pour se garer tout-à-fait de sa propre dévotion ? C’est ce qu’on pourrait appeler le danger du fanatisme. Ce fanatisme allait peut-être assez bien aux hommes de Plutarque, comme on disait il y a cinquante ans : il en faut prendre son parti et s’arranger désormais pour être un homme de Plutarque moins les visions. Le danger de l’infatuation des entourages est tout aussi sérieux. L’infatuation est la maladie de toute puissance dans le temps où nous sommes, parce que la puissance est plus grande, et l’individu plus faible que jamais ; on n’en finirait pas d’étudier sur le vif les ridicules ou les fautes des ministres infatués. Les ministres pourtant ont des contradicteurs publics qui les redressent ; mais où sera le remède contre l’infatuation des conseillers à huis-clos, qui, ne se heurtant jamais aux obstacles réels, prennent pour réalisées toutes les chimères dont ils repaissent leurs ambitions subalternes, qui d’ailleurs, mesurant la fortune qu’ils doivent faire par celle qu’ils ont faite, s’étonnent avec raison de ne pas être encore montés plus haut, quand ils ont déjà monté si vile ? Cette infatuation est surtout redoutable dans le gouvernement des époques troublées, parce que les entourages se renouvellent alors fréquemment, et se recrutent à l’aide du hasard plutôt qu’en raison du mérite.

Le fanatisme et l’infatuation ont-ils, à l’heure qu’il est, accompli leur chef-d’œuvre, en imposant à notre malheureux pays une crise nouvelle, une crise plus grave peut-être et plus féconde en ruines qu’aucune de celles que nous avons vues depuis la révolution de février ? Nous avons trop sujet de le craindre, et c’est l’amertume de cette angoisse patriotique qui déborde comme malgré nous dans ces lignes. Le ministère tout entier se retire ; le préfet de police, M. Carlier, le suit dans sa retraite. Le président, se séparant de la majorité dont ce ministère était l’organe, veut maintenant obtenir d’elle l’abrogation de la loi du 31 mai. Ce soir même, le gouvernement de la république est tombé décidément en dissolution, et la France attend pour savoir à qui vont aller les épaves du naufrage, car c’est vraiment un naufrage que cette soudaine rupture qui éclate à point nommé au sein des grands pouvoirs. Le prince Louis Bonaparte croit sans doute assurer le triomphe d’une candidature jusqu’à présent inconstitutionnelle, comme nous l’avons toujours dit, en passant ainsi d’une politique à une autre : l’opposition si loyale, si honorable qu’il a rencontrée dans son cabinet l’avertira-t-elle que c’est aussi fonder sa candidature de 1852 sur une base toute contraire à celle qui l’avait soutenue en 1848 ? En 1848, quoique élu par le suffrage illimité, il était le représentant avoué de l’ordre et de la société : en 1852, après que les abus du suffrage illimité ont été démontrés et vaincus de concert avec le président par la majorité de l’assemblée nationale, de cela seul que le président voudrait encore recourir au suffrage illimité, il s’ensuivrait qu’il ne pourrait plus s’offrir à la France sous le même drapeau qu’en 1848. Le drapeau de la France amie des lois aux élections de 1852, c’est cette loi solennelle du 31 mai dont le pouvoir exécutif ne veut plus. Nous le dirons jusqu’au bout cette loi est un drapeau.