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d’une fois les vieilles amitiés se refroidir, les nouvelles s’irriter. Nous nous sommes pourtant consolés en songeant que, par-dessus le chagrin de toutes ces brouilles éphémères dont nous pouvions plus ou moins souffrir nous-mêmes, il y avait la joie de parler vrai pour l’enseignement et le bien de tous ; nous nous sommes consolés en nous répétant que de moins en moins la France était la chose des partis, qu’en dessous des tiraillemens exercés à la surface par tant de despotismes factices, il y avait un mouvement universel d’ordre et de progrès contre lequel rien ne pourrait prévaloir. Nous avons redit aussi bien souvent la vieille sentence : Nolite confidere principibus hominum, quia non est fides in illis. Les princes des hommes, les princes par droit de naissance et les princes par droit de conquête ne nous ont jamais inspiré que cette confiance raisonnable avec laquelle on est prêt à tous les reviremens de leurs humeurs, parce qu’on ne jure jamais sur leur parole.

Aujourd’hui, par exemple, nous sommes prêts, et nous ne saurions arrêter la libre expression de la profonde tristesse avec laquelle nous considérons la crise où décidément l’on s’obstine à nous plonger. Nous sommes de ceux qui ont toujours témoigné le plus d’égards, les égards les plus désintéressés comme les plus respectueux, à M. le président de la république. Nous ne voyons pas pourquoi nous tairions la raison de cette attitude qui nous plaisait. Avant l’élection du 10 décembre, nous ne connaissions du prince Louis Bonaparte que les antécédens qui avaient révélé sa jeunesse à la France, — et cette jeunesse, trop risquée dans des témérités qui n’avaient pas compromis qu’elle, nous inspirait une méfiance qui s’étendait invinciblement jusqu’à l’homme même mûri par le malheur et par les années. Beaucoup alors, jusque parmi ceux qui cédaient à l’entrainement, fermaient les yeux pour n’en pas voir les conséquences, et donnaient leur vote sans donner leur cœur. À bien dire, au bout du compte, nul ne donna son cœur en ce temps-là, et puisqu’on en vient à se persuader aujourd’hui qu’il règne dans l’air je ne sais quel souffle d’adoration superstitieuse, puisqu’on semble croire à je ne sais quel retour d’une idolâtrie morte, rappelons-le derechef à présent : — ce ne fut point par amour pour personne que les campagnes et les villes votèrent comme elles firent au 10 décembre ; ce fut pour infliger, en usant d’un nom caractéristique, la contradiction la plus formelle à un régime dont elles étaient offensées. Ce n’était pas qu’elles eussent du goût pour le régime impérial ; c’est qu’elles avaient une revanche à prendre sur le régime républicain des conquérans de février, dont les honorables efforts du général Cavaignac n’avaient pu leur persuader qu’on fût déjà sorti. La perspective, l’éventualité du régime impérial, la chance possible des velléités napoléoniennes, c’était au contraire le mauvais côté de la grande candidature. Les illustres patrons qui en avaient endossé l’initiative et la responsabilité ne consentaient point à la laisser envisager par là ; ils couvraient d’une indulgence qu’ils n’ont peut-être point depuis assez pratiquée tout ce qui, dans le passé de leur candidat, pouvait faire suspecter l’avenir. Ils ne craignaient point d’affirmer que c’était un jeune homme ignoré de la France, et les esprits raisonnables qu’ils convertissaient bon gré malgré essayaient du moins de se figurer que l’élu de leur choix n’était plus en effet le héros de Strasbourg et de Boulogne. On ne se rassura point tout de suite.

Lorsque cependant on eut lieu de constater la sagesse résolue avec laquelle