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raison en est simple : le gouvernement, qui se connaît peu en tableaux, nomme des commissions, lesquelles vont droit au médiocre et au bon marché par instinct et par économie, lorsque d’ailleurs le peintre ne les obsède pas de ses sollicitations et de ses importunités. C’est ainsi qu’en Belgique les musées, les palais, les églises, sont encombrés de toiles sans valeur. Il y a quelques salles, au musée de Bruxelles, où s’étalent deux ou trois cents tableaux acquis de la sorte depuis 1815. Ce n’est pas exagérer que d’évaluer le prix de ces toiles à un million, et, cadres à part, le tout ne vaut pas 100,000 francs. Que si l’on s’approche pour lire les noms inscrits sur les toiles, on voit qu’il n’est pas trois de ces artistes favorisés qui se soient fait une place dans les arts. En ce moment, le gouvernement belge marchande à M. Gallait son tableau des Derniers honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Horn ; il discute le prix, et ne l’achètera point ; puis, lorsque les vrais connaisseurs se seront partagé les plus belles toiles du salon, il achètera pour 50,000 fr. des œuvres recommandées qui vaudront cent écus le lendemain.

Ce que l’état doit aux arts, c’est l’enseignement ; mais il le doit vaste, élevé, complet. La Belgique a trois grandes écoles de peinture et plusieurs autres d’une moindre importance. Une grande école, bien dotée, bien organisée, serait de tous points préférable à un enseignement multiple et incomplet. Ce qui n’est point enseigné en Belgique comme ailleurs, et ce qui devrait l’être, c’est l’anatomie appliquée aux arts, c’est la philosophie de l’art, c’est peut-être une sorte d’histoire universelle également appliquée à l’art ; car, et l’on va maintenant toucher au doigt le caractère moral de l’école belge et ses tendances, ce qui manque aux artistes belges, c’est l’éducation. Patiens au travail, persévérans, doués d’une rare aptitude pour tout ce qui est procédé matériel, ils arrivent à une admirable habileté pratique. Parvenus à ce terme, ils ont une langue, un moyen d’exprimer leur pensée : ils sont comme un homme qui, voulant se faire écrivain, saurait à fond l’orthographe et la syntaxe ; mais est-on écrivain, toute question de génie à part, lorsqu’on sait l’orthographe et la syntaxe ? La plupart des peintres belges s’arrêtent là pourtant. Ils ont un beau talent d’expression et rien à exprimer. Hors leur métier, beaucoup n’étudient point et ne lisent guère. Aussi, dans leurs œuvres, quel contraste ! Un faire prodigieux, une couleur pleine de force et d’éclat, et une déplorable pauvreté de composition, une conception esthétique faible ou absolument nulle. Ce caractère est spécial à l’école d’Anvers, et c’est par là qu’elle est devenue inférieure à la nouvelle école qui se forme à Bruxelles. Celle-ci pense, étudie, observe ; elle ne copie point servilement, elle transforme, elle poétise, et, tandis que les peintres d’Anvers s’égarent dans les minuties de l’art chinois, elle marche d’un pas ferme vers le vrai but de l’art. C’est ce contraste