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d’un pareil écart, lorsque le sang-froid lui sera revenu. Ce n’est pas une petite tâche que d’entreprendre de tempérés un caractère aussi bouillant ; je vous avoue que je le fuirais à cent lieues, si ma fidélité et mon dévouement ne me retenaient. »

Nous reviendrons tout à l’heure sur la tâche difficile qu’avait entreprise M. de La Marck de diriger Mirabeau et de l’employer au salut de la monarchie. Nous voulons en ce moment achever ce que nous avons à dire du malentendu perpétuel et inévitable qu’il y avait dans le commerce de Mirabeau avec la cour et montrer ce malentendu dans l’entrevue de Mirabeau avec la reine.

S’il y a quelqu’un à la cour à qui Mirabeau eût aimé à se dévouer sincèrerement c’est la reine. Il la regardait, on le sait, comme le seul homme qui fût auprès de Louis XVI, et de plus c’était le privilège de Marie Antoinette d’inspirer l’enthousiasme et le dévouement à tous ceux qui l’approchaient. Mirabeau n’échappa point à cet ascendant. Il vit la reine et s’entretint avec elle ; il fut ravi et ému. Il crut même, tant était sincère l’émotion qu’il ressentit, il crut avoir inspiré quelque confiance ou avoir fait quelque effet : il se trompait, et cette illusion de Mirabeau est un des traits les plus curieux de ce malentendu que nous tâchons d’expliquer. Ce fut le 3 juillet 1790 qu’eut lieu à Saint Cloud l’entrevue de Mirabeau avec la reine. Mme Campan, qui prétend tenir de la bouche de la reine les détails qu’elle donne dans ses mémoires sur cette entrevue, en fait un récit un peu romanesque. « Mirabeau partit de Paris, à cheval, sous prétexte de se rendre à la campagne chez un de ses amis ; mais il s’arrêta, à une des portes du jardin de Saint Cloud, et fut conduit, je ne sais par qui, vers un endroit où la reine l’attendait seule, dans la partie la plus élevée de ses jardins particuliers. Elle me raconta qu’elle l’avait, abordé en lui disant « Auprès d’un ennemi ordinaire, d’un homme q u i aurait juré la perte de la monarchie sans apprécier l’utilité dont elle est pour un grand peuple je ferais en ce moment la démarche la plus déplacée ; mais quand on parle à un Mirabeau, etc… » Il avait quitté la reine en lui disant : « Madame, la monarchie est sauvée ! » Cette entrevue sent le théâtre et le roman : la reine y parle un peu à Mirabeau comme Mahomet à Zopire dans Voltaire ; elle fait un exorde, Dieu me pardonne ! Voici’ maintenant le récit simple et vrai. L’entrevue n’a point lieu dans les jardins de Saint Cloud, et la reine n’y attend pas seule Mirabeau. L’entrevue a lieu dans l’appartement de la reine, où se trouvait aussi le roi. « La première, fois que je revis la reine après cette entre vue, dit M. de. La Marck, elle m’assura tout de suite qu’elle et le roi y avaient acquis la conviction du dévouement sincère de Mirabeau à la cause de la monarchie et à leurs personnes. Elle me parla ensuite de la première impression qu’avait faite sur elle l’apparition de Mirabeau.