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Quatre-vingts Espagnols, ignominieusement nus, les mains fortement attachées derrière le dos, sont tirés, sont traînés au haut des escaliers du temple.

On les contraint de plier le genou devant l’image de Vitzliputzli et de danser des danses grotesques; on les contraint par des tortures —

Si horribles et si abominables, que les hurlemens de douleur des suppliciés couvrent tout le charivari des cannibales.

Pauvre public des bords du lac ! Cortez et ses compagnons d’armes entendaient et reconnaissaient les voix désespérées de leurs amis.

Sur la scène vivement éclairée, ils voyaient aussi d’une manière exacte les corps et les visages; — ils voyaient le couteau, ils voyaient le sang, —

Et ils étaient leurs casques de leur tête; ils s’agenouillaient, ils entonnaient le psaume des morts et chantaient : De Profundis!

Parmi ceux qui moururent, il y avait Raimond de Mendoza, fils de la belle abbesse, le premier amour de Cortez.

Lorsqu’il vit sur la poitrine du jeune homme ce médaillon qui renfermait le portrait de la mère, Cortez pleura à chaudes larmes, —

Mais il s’essuya les yeux avec son dur gantelet de buffle; il soupira profondément, puis chanta en chœur avec les autres : Miserere!


III.

Les étoiles brillent déjà plus pâles, et les brouillards du matin montent des flots de la mer, comme des fantômes avec de longs draps blancs qui traînent.

Fête et lumières sont éteintes sur le toit du temple, et çà et là sur le plancher trempé de sang ronflent prêtres et laïques.

Seule, la casaque rouge veille encore. A la lueur de la dernière lampe, ricanant d’un air doucereux et avec l’.n badinage d’enragé, le prêtre parle ainsi au dieu :

« Vitzliputzli, Putzlivitzli, cher petit dieu Vitzliputzli! t’es-tu bien amusé aujourd’hui? as-tu bien respiré de suaves parfums?

Aujourd’hui il y avait du sang espagnol. Oh! que l’odeur était appétissante, et que ton petit nez fin et friand l’aspirait avec volupté!

Demain nous sacrifierons les chevaux, ces nobles animaux hennissans qu’engendrèrent les esprits des vents avec les vaches marines.

Veux-tu être gentil? je t’immolerai aussi mes deux petits-fils, jolis bambins au sang bien doux et l’unique joie de ma vieillesse.

Mais il faut que tu sois gentil, il faut que tu nous donnes une nouvelle victoire. Fais-nous vaincre, cher petit dieu, Putzlivitzli, Vitzliputzli !

Oh! détruis nos ennemis, ces étrangers qui, du fond de pays