Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous savons maintenant ce que signifiait la grande comète qui chevauchait cette année dans le ciel sombre, rouge comme le sang et montée sur un balai de feu.

C’est à Hastings que s’est accomplie la sinistre prédiction de la mauvaise étoile. Nous sommes allés sur le champ de bataille, et nous avons cherché parmi les cadavres.

Nous avons cherché à droite, nous avons cherché à gauche, jusqu’à ce que toute espérance fut perdue; le cadavre du roi Harold, nous ne l’avons pas retrouvé. »

Ainsi parlèrent Asgod et Ailrik. L’abbé joignit les mains d’un air désespéré, il resta plongé dans une méditation profonde, puis à la fin il dit en soupirant :

« A Grendelfield, près de Bardenstein, juste au milieu de la forêt, habite Edith au col de cygne dans une misérable chaumière.

On l’appelait Edith au col de cygne, parce que son cou était comme le col d’un cygne. Le roi Harold a aimé cette jeune belle.

Il l’a aimée, l’a embrassée, l’a tenue sur son cœur, puis il l’a quittée et oubliée. Le temps passe vite; il y a bien de cela seize ans.

Allez, frères, trouver cette femme et retournez avec elle à Hastings. L’œil de la femme y découvrira le roi.

Puis, vous apporterez le cadavre à l’abbaye de Waltham, afin que nous puissions ensevelir le corps chrétiennement et chanter les prières pour l’ame. »

Vers le milieu de la nuit, les messagers arrivèrent à la chaumière dans la forêt : « Éveille-toi, Edith au col de cygne, et suis-nous promptement.

Le duc des Normands a remporté la victoire, et sur le champ d’Hastings est couché mort le roi Harold.

Viens avec nous à Hastings, nous y chercherons le cadavre parmi les morts, et nous le porterons à l’abbaye de Waltham, comme nous l’a ordonné l’abbé. »

Edith au col de cygne ne dit pas un seul mot; elle se troussa à la hâte et suivit les moines. Le vent faisait flotter sa chevelure grisonnante.

Elle suivait, pieds nus, la pauvre femme, à travers les marais et les ronces. Au lever du jour, ils aperçurent les plages crayeuses d’Hastings.

Le brouillard, qui couvrait le champ de bataille comme un blanc suaire, se dissipa peu à peu; les corbeaux voltigeaient au-dessus de la plaine avec des croassemens sinistres.

Plusieurs milliers de cadavres gisaient là misérablement sur la terre sanglante, dépouillés, mutilés, déchirés, pêle-mêle au milieu des charognes de chevaux.