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La contre révolution n’en serait pas moins faible. La force n’est plus dans les hommes, elle est dans les masses. « On croit trop, dit fort bien M. de La Marck dans une lettre du 26 janvier 1791 à M. de Mercy-Argenteau, on croit trop que le succès tient uniquement à détrôner quelques hommes : on ne voit peut-être pas assez que c’est par les choses et sur les grandes masses d’hommes qu’il faut agir. Et ailleurs : « A toute autre époque de l’histoire, en connaissant une faction, ses chefs, ses principes et son but, on pouvait prévoir sa marche et sa durée ; il suffisait d’analyser le caractère de quelques hommes ; et tout était expliqué. Il n’en est pas de même de la révolution actuelle. C’est la nation entière qui est agitée. Il y a deux mille causes pour un seul effet, et tout calcul sur des causes aussi multipliées devient impossible. Tel homme qui aujourd’hui n’est qu’un instrument devient demain un chef. Ce qu’il eût fallu à la cour, ce n’est pas d’avoir Mirabeau, comme elle l’entendait, puisqu’elle n’en aurait pas été moins faible : c’eût été d’acquérir la force qu’avait Mirabeau. Or, cette force-là qui était une force révolutionnaire, Mirabeau ne pouvait pas et ne voulait pas la mettre dans le marché. Il ne le pouvait pas : M. de La Marck vient de nous expliquer la faiblesse des individus et la puissance des masses. Il ne le voulait pas, parce qu’il sentait que cette force n’était pas seulement ce qui faisait son prix ; elle faisait sa sûreté. Il savait très bien qu’au fond la cour le haïssait, et qu’il ne valait quelque chose que parce qu’on le craignait. Sa politique générale et sa politique personnelle, sa haine de la contre-révolution et des contre-révolutionnaires, ses principes, ses intérêts et ses passions, tout faisait donc qu’il ne se livrait pas tout entier à la cour ; et que de temps en temps, par calcul et par emportement, il éclatait en colères et en menaces contre le côté droit de l’assemblée. Ces jours-là, étant factieux, il l’était plus que personne ; alors la cours s’indignait et s’irritait, et c’était bien naturel. On se plaignait vivement à M. de La Marck de son Mirabeau : parler ainsi ! lui ! M. de La Marck, ces jours-là, évitait de voir la reine ; mais il se plaignait de son côté à Mirabeau, et Mirabeau lui répondait quelqu’un de ces billets où éclate toute sa fougue.

Citons en passant un exemple de ces scènes qui troublaient sans cesse les relations de Mirabeau avec la cour. Il y avait eu dans l’assemblée une discussion sur le renvoi des ministres : Mirabeau, qui ne les aimait pas, s’abstint pourtant de parler, et l’amendement qui demandait le renvoi des ministres fut rejeté à la majorité de 403 voix sur 440. Ce rejet fut considéré comme un triomphe des principes monarchiques ; la cour et le côté droit s’exaltèrent, et bientôt, dans une question relative au pavillon des vaisseaux, les passions éclatèrent. Le côté droit demandait la conservation Au pavillon blanc ; Mirabeau alors, dans un discours très véhément, accusa le côté droit de projets contre-révolutionnaires.