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Pendant plus d’un siècle, l’acte de navigation demeura intact. La création des free-ports (ports libres), en vertu d’une loi de 1766, dérogea pour la première fois aux règles trop absolues qu’il avait imposées aux relations commerciales des colonies d’Amérique[1] ; mais ce n’était là qu’une dérogation partielle, qui ne portait point d’atteinte sérieuse aux principes de 1660. Il était réservé aux États-Unis, devenus libres, d’attaquer de front la charte maritime de Cromwell et de faire brèche dans cette législation, jusqu’alors si respectée. Ils n’obtinrent satisfaction qu’en 1815 ; il leur avait été plus facile de vaincre l’Angleterre par les armes que d’avoir raison de la loi.

Dans un discours célèbre prononcé à la chambre des communes en 1826, M. Huskisson a avoué que la rigueur du régime colonial et les exigences outrées de la métropole pour l’application des lois maritimes avaient fortement contribué à la révolte des possessions d’Amérique. Aussi, dès que l’indépendance fut déclarée, les nouveaux états se trouvèrent-ils partagés entre leur ressentiment, qui les poussait à exclure des ports américains le pavillon de la Grande-Bretagne, et leur intérêt qui conseillait, au contraire, de continuer avec l’ancienne métropole et surtout avec les colonies des Antilles les rapports de navigation et de commerce également profitables aux deux nations. Les conseils de l’intérêt l’emportèrent ; M. Adams fut envoyé à Londres avec mission de proposer un arrangement aux termes duquel le pavillon et les marchandises de la Grande-Bretagne eussent été admis dans les ports des États-Unis au traitement national, sous condition de réciprocité, en faveur du pavillon américain, dans les ports du Royaume-Uni, des Antilles, du Canada et du Nouveau-Brunswick. Pitt accueillit cette proposition, mais il quitta le ministère avant d’avoir pu la faire prévaloir au sein du parlement, et le projet de traité fut repoussé sous l’administration de son successeur, le duc de portland. Il ne restait donc plus aux États-Unis que la ressource des représailles ; ils en usèrent, et, depuis 1790 jusqu’en 1815, le recueil des lois et des ordonnances promulguées dans les deux pays est rempli d’actes qui restreignent ou favorisent tour à tour les relations entre l’Angleterre et les États-Unis ; c’était une véritable guerre de tarifs, entremêlée d’incidens et de trêves ; par le fait, l’Angleterre succomba, car elle se vit contrainte d’accorder aux États-Unis, dans le traité de 1815, la réciprocité qu’elle avait précédemment refusée.

Cette concession détruisait entièrement l’économie de l’acte de 1660,

  1. L’acte de 1660 interdisait aux colonies toutes relations avec l’étranger. Cependant il existait entre les Antilles anglaises et espagnoles un commerce très actif qui s’exerçait par contrebande. On jugea qu’il valait mieux régulariser ce trafic, et on ouvrit certains ports de la Jamaïque aux navires étrangers venant des Antilles étrangères. Le système des free-ports reçut ultérieurement une grande extension dans toutes les colonies.