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pas pour déchirer ses entrailles en y creusant des mines, ou empoisonner l’air parfume qu’on y respire en y élevant des hauts fourneaux: c’est pour y tracer de jolies routes aussi soigneusement dessinées et sablées que celles d’un parc, y bâtir trois ou quatre petites villes bien propres et bien gaies, ou y semer enfin des milliers de délicieux cottages.

Les amateurs d’architecture gothique peuvent étudier dans l’île de Wight les vieilles murailles normandes de Norris-Castle, les tours crénelées des châteaux d’East-Cowes ou de Steephill, et plus d’une ruine féodale qui date de l’époque des Saxons. Quant aux peintres, pour qui elle semble avoir été créée tout exprès, comment n’aimeraient-ils pas son ciel vaporeux et brillant tout à la fois, les masses de ses grands chênes touffus, dont le feuillage est si abondant, et ses ombrages d’un bleu si sombre? Et ces gentilles chaumières du temps de la reine Elisabeth, tout habillées de lierre et de roses, avec leurs vitraux en losange et le pot de géranium rouge derrière la fenêtre, comme elles ont un cachet local et font bien dans le paysage! Mais, si vous êtes fatigué de toute cette verdure, écoutez le bruit de la mer, elle est à deux pas; la scène change : voici les falaises aux flancs déchirés par les vagues, et les rochers noirs couverts de varech et d’écume. Je ne connais rien de plus romantique que ma chère île de Wight; nulle part on ne rencontre de sites plus pittoresques et plus variés. Antiquaires, poètes, artistes, venez ici, il y a de l’occupation pour vous tous!

Chaque année, nous allons nous ennuyer à Dieppe, au mont Dore, à Vichy, nous poussons même jusque sur les bords du Rhin ou jusqu’en Suisse; en quelques heures, nous pourrions être transportés dans l’île de Wight, et pour vingt-cinq francs! Personne n’y songe. Le fait est qu’il est presque sans exemple de rencontrer dans nos salons de Paris quelqu’un qui puisse parler avec connaissance de cause du château de Carisbrook, de Shanklin, d’Alum-Bay et des régates de Cowes, lesquelles, soit dit en passant, valent bien à elles seules la peine d’attirer les étrangers dans l’île.

Depuis que les chemins de fer de Londres à Southampton et à Portsmouth ont mis la capitale de l’Angleterre à trois heures et demie de distance de Ryde ou de Cowes, pendant tout l’été, la route qui fait le tour de l’île est parcourue par une foule de familles avides de jouir du spectacle de ses beaux sites à meilleur marché que s’il s’agissait pour elles de faire le voyage de Spa, de Baden ou d’Interlaken. Ces promeneurs, — dans de légères voitures de toute forme et de toute espèce, depuis le stage-coach jusqu’au poney-chaise, — animent le tableau et enrichissent les hôteliers de l’île, dont les jolies auberges, déguisées en chaumières et à moitié ensevelies sous les chèvrefeuilles et les jasmins, sont bien les plus agréables lieux de repos que puisse rencontrer un voyageur. Cette grande affluence de cockneys serait