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mais qui reste aujourd’hui, je le reconnais, notre seule barrière contre d’odieuses entreprises. »

La coalition triompha; de nouvelles élections furent demandées au pays. M. Royer-Collard, découragé, ou peut-être pour laisser la place à quelque défenseur plus ardent de la monarchie nouvelle et moins lié que lui par les engagemens du passé, déclina les suffrages qui venaient encore le chercher et descendit volontairement de la scène politique. Le respect de tous les partis le suivit dans sa retraite, et les dépositaires du pouvoir allèrent plus d’une fois s’y inspirer de son expérience et de sa suprême sagesse.


VI.

Cependant M. Royer-Collard approchait peu à peu de sa fin; une maladie organique du rein, dont il a souffert toute sa vie, lui avait déjà donné de sinistres avertissemens; en 1835, elle l’avait mis pendant long-temps en danger. Le mal reparut par une crise violente au printemps de 1844. L’année suivante, il vit clairement qu’il ne fallait plus compter sur un long délai; il était depuis long-temps résigné à la mort, et il se mit tranquillement à en faire les apprêts. Il avait résolu d’aller mourir à sa terre de Château-Vieux, dans la retraite, sans pompe, sans discours, au milieu de sa famille et de ses métayers, entre les bras du curé de son village.

M. Royer-Collard avait fait enseigner à ses enfans les dogmes et les actes d’une religion sévère, mais il n’en suivait pas lui-même toutes les pratiques. Quels étaient ses motifs? Nul ne peut le dire, car il a souvent répété qu’il ne s’était révélé à personne tout entier. Quoi qu’il en soit, il se trouvait ainsi dans une contradiction pénible pour lui et surtout pour ses filles. Il leur disait : « J’ai la foi qui croit, mais je n’ai pas la foi qui voit; elle est si précieuse, cette foi, qu’il faudrait aller la chercher jusque dans les entrailles de la terre. Je ne suis pas tel que je le voudrais pour m’approcher de l’autel; si je voulais y aller, je tomberais. » On lui répondait « qu’à force de respecter la loi, il la violait. » Il voulut cependant, trois ou quatre ans avant sa mort, recevoir les entretiens d’un prêtre, et, l’année qui précéda sa fin, il dit à sa fille, car il n’en avait plus qu’une alors : « Je suis maintenant résolu d’accomplir ce que j’ai toujours différé par la remise au lendemain; » mais soit par un reste d’hésitation, soit par la répugnance naturelle à la secte de sa mère pour la fréquence des sacremens, il ajourna pour lui la communion aux derniers momens de sa vie.

Dans l’été de 1845, M. Royer-Collard partit pour la campagne, devançant, comme à l’ordinaire, le départ de sa famille. Il dit en arrivant dans la cour du château, qui était comme le rendez-vous des