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communale avec les sages tempéramens qu’il y avait établis. Il fut obligé de la retirer en pleine séance, comme par une sorte de coup de théâtre. Le roi, ainsi que l’avait prédit M. Royer-Collard, prit avantage de cet échec d’un ministère qui n’était pas de son choix. « Puisque, malgré vos intentions libérales, dit-il à ses ministres, vous n’avez pas assez de crédit sur la chambre pour sauver ce que vous croyez vous-mêmes devoir conserver de la prérogative du roi, trouvez bon que j’avise de mon côté, et avec des ministres selon mes vues, au salut de la royauté. » Il choisit alors ce ministère qui inspira au pays de si tristes et de si justes pressentimens.

A l’ouverture de la session de 1830, la chambre des pairs, contre son habitude, plaça dans son adresse au roi un avertissement sévère sur les coups d’état que le ministère pouvait méditer. La chambre des députés rédigea la célèbre adresse connue sous le nom d’adresse des 221, où elle déclara refuser son concours à une administration « dont la pensée fondamentale était une défiance injuste des sentimens et de la raison de la France, défiance injurieuse pour le peuple, menaçante pour ses libertés. » Elle appelait le roi à se prononcer « entre ceux qui méconnaissaient une nation si calme et si fidèle et la chambre qui, avec une conviction profonde, venait déposer dans le sein de sa majesté les douleurs de tout un peuple jaloux de l’estime et de la confiance de son roi. » M. Royer-Collard, président de la chambre, avait pris soin de faire rédiger l’adresse par M. Gautier, un royaliste éprouvé, dont la fidélité ne pouvait être suspecte. C’était au président que revenait la charge, alors douloureuse, de donner lecture de l’adresse au prince. Placé entre l’obstination aveugle du roi et l’impatience imprudente de ses amis, de quelque côté qu’il se tournât, il ne voyait que des fautes et des abîmes. Il lut donc cette adresse avec une profonde mélancolie et presque avec l’accent du désespoir. Le lendemain, la chambre était prorogée, et M. Royer-Collard allait ensevelir dans la solitude de la campagne ses amers regrets de la témérité des partis et son effroi de l’avenir. Bientôt la chambre fut dissoute, puis réélue avec une majorité plus forte encore contre le ministère. Le coup d’état depuis si long-temps redouté fut résolu, et la révolution de 1830 s’accomplit.

M. Royer-Collard vit cette révolution avec une extrême répugnance; il n’aurait pas voulu qu’on répondît à une violation de la charte par une autre violation. « Les révolutions, dit-il, vendent cher les avantages qu’elles promettent. La postérité jugera si celle-ci était inévitable, ou si elle pouvait s’opérer à d’autres conditions[1]. » Cependant il ne se retira point de la chambre, parce que derrière la révolution

  1. Discours aux électeurs de Vitry-le-Français le 6 juillet 1831.