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là que le chef de la nation doit mettre en dépôt son existence et tout notre espoir ?… Paris engloutit depuis long-temps les impôts du royaume ; Paris est le siége du régime fiscal abhorré des provinces ; Paris a créé la dette, Paris, par son funeste agiotage, a perdu le crédit public et, compromis l’honneur de la nation. Faut-il aussi que l’assemblée nationale ne voie que cette ville et perde pour elle tout le royaume ? Plusieurs provinces redoutent qu’elle ne domine l’assemblée et qu’elle ne dirige ses travaux[1]. » Paris est la ville de la révolution, et le parti révolutionnaire « veut que tout le royaume se mette à l’unisson de Paris, au lieu que le seul moyen de salut est de ramener Paris par le royaume[2]. » Et voulez-vous voir comment Mirabeau peint le Paris de son temps, le Paris qui n’avait encore que 500,000 ames ? « Jamais, dit il, autant d’élémens combustibles et de matières inflammables ne furent rassemblés dans un seul foyer. Cent folliculaires dont la seule ressource est le désordre ; une multitude d’étrangers indépendans qui soufflent la discorde dans tous les lieux publics ; tous les ennemis de l’ancienne cour ; une immense populace accoutumée depuis un an à des succès et à des crimes ; une foule de grands propriétaires qui n’osent pas se montrer, parce qu’ils ont trop à perdre ; la réunion de tous les auteurs de la révolution et de ses principaux agens ; dans les basses classes, la lie de la nation ; dans les classes les plus, élevées, ce qu’elle a de plus corrompu : voilà ce qu’est Paris. Cette ville connaît toute sa force ; elle l’a exercée tour à tour sur l’armée, sur le roi, sur les ministres, sur l’assemblée ; elle l’exerce sur chaque député individuellement ; elle ôte aux uns le pouvoir d’agir, aux autres le courage de se rétracter, et une foule de décrets n’ont été que le fruit de son influence[3]. » Il faut donc que le roi quitte Paris, mais il ne faut pas qu’il quitte la France, et encore il ne faut pas quitter Paris furtivement. « Souvenez vous mon cher comte écrit Mirabeau à M. de La Marck le 4 juin 1790, qu’il ne faut en aucun cas et sous aucun prétexte être confident ni complice d’une évasion, et qu’un roi ne s’en va qu’en plein jour, quand c’est pour être roi. » Point de fuite timide et clandestine ; un départ hardi, ferme et prompt ; un appel fait aux provinces contre la tyrannie de la démagogie parisienne, et surtout aucun appel aux étrangers, aucune émigration : voilà le plan de Mirabeau. Hors de Paris ; le roi est libre ; hors de France, le roi n’est plus qu’un émigré.

Cet appel fait aux provinces est peut-être la guerre civile, Mirabeau le sait ; mais il ne s’en effraie pas. Le sang qui coule sur des champs de bataille français, versé par des mains françaises, est affreux à penser ;

  1. Tome Ier, p. 365 et 368.
  2. Tome II, p. 29.
  3. . Idem, p. 418.