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lus et relus le jour et la nuit par une génération curieuse. Des bibliothèques, les livres ont passé dans les esprits; c’est de là qu’il vous faut les chasser, Avez-vous pour cela un projet de loi? Tant que nous n’aurons pas oublié ce que nous savons, nous serons mal disposés à l’abrutissement et à la servitude. Mais le mouvement des esprits ne vient pas seulement des livres. Né de la liberté des conditions, il vit du travail, de la richesse et du loisir. Les rassemblemens des villes et la facilité des communications l’entretiennent. Pour asservir les hommes, il est nécessaire de les disperser et de les appauvrir; la misère est la sauvegarde de l’ignorance. Croyez-moi, réduisez la population; renvoyez les hommes de l’industrie à la glèbe, brûlez les manufactures, comblez les canaux, labourez les grands chemins. Si vous ne faites pas tout cela, vous n’aurez rien fait; si la charrue ne passe pas sur la civilisation tout entière, ce qui en restera suffira pour tromper vos efforts[1]. »

Dans ce discours, M. Royer-Collard résume lui-même en trois mots sa doctrine politique, et il en montre l’unité. Elle est tout entière dans la lutte contre le fanatisme, le privilège et l’ignorance. Sa vie parlementaire fait donc partie de sa vie philosophique. Non-seulement la philosophie donna à son langage le goût et l’art de ces expressions abstraites et générales qui font la force et l’élévation de ses discours, mais elle lui fournit aussi les doctrines qu’il défendit avec tant de constance et d’énergie, c’est-à-dire l’abolition de tout privilège, soit de naissance, soit de fortune, la propagation de la science et des lumières, la sécularisation de l’état, et l’unité de la France fondée, non sur un culte particulier, mais sur la morale et la religion communes à tous les cultes. M. Royer-Collard fut donc à la chambre ce qu’il avait été à la Faculté des lettres : il fut le philosophe.


V.

Les partisans du privilège, en faisant voter la septennalité dans l’année 1824, s’étaient crus possesseurs de la chambre et du pays pour long-temps, et cependant déjà, en 1827, ils ne se sentaient plus assurés de la majorité dans le parlement, et ils voulaient essayer de le recomposer d’élémens nouveaux, qu’ils espéraient voir plus favorables à leurs desseins. Ils firent donc dissoudre la chambre des députés et convoquer les collèges électoraux. M. Royer-Collard reçut alors la récompense de ses longs combats pour les intérêts de la France nouvelle; il fut élu par sept départemens.

L’Académie française voulut aussi concourir à l’éclat de son triomphe, et lui ouvrit ses portes. Elle ne pouvait d’ailleurs se dispenser d’appeler dans son sein un écrivain dont le langage était si pur et si

  1. Discours du 14 février 1827.