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M. Royer-Collard ajouta que si l’on frappait la profanation des hosties, il faudrait bientôt frapper le blasphème, l’hérésie, l’incrédulité. « De quel droit votre main profane scinde-t-elle la majesté divine et la déclare-t-elle vulnérable en un seul point, invulnérable sur tous les autres, sensible aux voies de fait, insensible à toute autre espèce d’outrage?» Il conclut que le gouvernement deviendrait ainsi théocratique, mais que si la théocratie a pu dans d’autres temps surprendre encore quelque autorité à la faveur de l’ignorance, elle ne serait de nos jours qu’une imposture décriée, à laquelle la sincérité manquerait d’une part et la crédulité de l’autre. « Il est faux, poursuivait-il, qu’on ne sorte de la théocratie que par l’athéisme. Ouvrez le budget : vous y trouvez que l’état acquitte annuellement 30 millions pour les dépenses du seul culte catholique. La loi de finances au moins n’est pas athée. Mais voici une preuve plus convaincante, s’il est possible, que Dieu n’est pas exclu de nos lois : c’est que les lois elles-mêmes se sont mises, et avec elles la société entière, sous la protection du serment.... Quoi! le serment est un acte de religion où Dieu partout présent intervient comme témoin et comme vengeur, et quand les lois se confient sans cesse au serment, que sans cesse elles le prescrivent et peut-être le prodiguent, on ose dire que Dieu est exclu de ces mêmes lois et que l’état est légalement athée.... Cet anathème, lancé de toutes parts et avec tant d’éclat, n’est que le cri de l’orgueil irrité, une vengeance tirée de la loi dont la molle indifférence a négligé de déclarer une seule religion vraie et toutes les autres fausses. La liberté et l’égale protection des cultes, voilà tout l’athéisme de la charte. »

Examinant ensuite le rôle politique de la religion, il fit remarquer finement que les fausses religions ont pour la stabilité et la splendeur des sociétés les mêmes avantages que la vraie. Il opposa les prospérités de l’hérétique Angleterre à la décadence de la catholique Espagne, et montra que dans l’alliance qu’on appelait sainte le premier rang appartenait à la Russie, que nous tenons au moins pour schismatique. Il termina par cette péroraison éloquente. « J’ai voulu marquer, en rompant un long silence, ma vive opposition au principe théocratique qui menace à la fois la religion et la société, d’autant plus odieux que ce ne sont pas, comme aux jours de la barbarie et de l’ignorance, les fureurs sincères d’un zèle trop ardent qui rallument cette torche. Il n’y a plus de Dominique, et nous ne sommes pas non plus des Albigeois. La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte. Ce qui la recommande, c’est qu’elle a un aspect contre-révolutionnaire. Sans doute, la révolution a été impie jusqu’au fanatisme, jusqu’à la cruauté; mais qu’on y prenne garde : c’est ce crime-là qui l’a perdue, et on peut prédire à la contre-révolution que des représailles de