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réservé de les détruire... La pensée a maintenant retrouvé dans les épreuves de l’analyse sa sublime origine, la morale son autorité, l’homme ses destinées immortelles[1]. »


IV.

A la fin de l’année 1819, le ministère fut en partie renouvelé. Une rumeur se répandit qu’il s’effrayait des progrès de l’opinion libérale dans la chambre élective, et qu’il voulait modifier la loi des élections. Des pétitions furent adressées de toutes parts à la chambre pour le maintien de la charte et de la loi des élections qui en émanait. Le ministère voulait qu’on passât à l’ordre du jour sur ces pétitions; une grande partie de la chambre en demandait le renvoi aux ministres. Le vote eut lieu par assis et lever : M. Royer-Collard se leva contre l’ordre du jour, qui ne prévalut qu’à une faible majorité. Une nouvelle phase allait s’ouvrir dans sa vie politique : pour la première fois, M. Royer-Collard allait être plus libéral que le gouvernement, par conséquent abandonner la défense du ministère et se placer à la tête de l’opposition. Il prenait de plus en plus confiance dans la loi électorale qui amenait chaque année dans la chambre de nouveaux défenseurs des intérêts les plus chers au pays, et il ne voulait pas qu’on changeât cette loi au profit des amis du privilège. Le nouvel opposant donna bientôt sa démission de président de la commission de l’instruction publique. Quelque temps après, le ministère lui ôta son titre déconseiller d’état, et enveloppa dans sa disgrâce M. Guizot, que M. Royer-Collard avait proposé à M. de Fontanes pour la chaire d’histoire moderne à la Faculté des lettres, et qu’il avait aidé à entrer dans l’administration publique, et M. Camille Jordan, qui était toujours demeuré uni avec M. Royer-Collard depuis le conseil des cinq-cents, où s’était nouée leur amitié.

M. de Serre, qui avait combattu aux côtés de M. Royer-Collard en faveur du régime nouveau et qui lui avait quelquefois emprunté ses armes, fut chargé de la pénible mission de lui annoncer sa destitution, mal adoucie par un dédommagement que ne pouvait admettre la fierté du philosophe. « Le roi, écrivit-il, dont la mémoire reste frappée de vos services et de votre dévouement, vous accorde le titre de conseiller d’état honoraire et une pension de 10,000 fr. sur le sceau. Sa majesté compte sur vous et m’ordonne de vous le dire. » M. Royer-Collard fit une réponse pleine de dignité que le public n’a point connue et qui mérite d’être citée tout entière. « Je sais quel respect est dû au nom du roi : ses bienfaits obligent presque comme ses ordres; je ne

  1. Discours du 18 août 1818.