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étendue que le nombre des électeurs sera plus considérable, et qu’il est nécessaire que le nombre de ceux qui élisent les députés des départemens soit aussi grand que possible.

La majorité libérale de la nouvelle chambre se voyait placée entre deux oppositions : celle des partisans du privilège qui siégeaient à droite, et celle des fauteurs de la révolution et de l’empire qui siégeaient à gauche. Ces derniers, pour renverser la dynastie, feignaient un amour exagéré de la liberté, et les autres, pour renverser le ministère, balbutiaient aussi quelques paroles plus libérales que celles du gouvernement. Dans une discussion sur la suspension de la liberté individuelle, M. Royer-Collard défendit encore la prérogative du prince contre l’une et l’autre opposition. Il répéta que, dans la constitution, le roi ayant l’initiative à l’exclusion de la chambre, il y a toujours présomption que, quand il propose une loi extraordinaire, il a pris toutes les informations nécessaires, parce que le pouvoir légitime est présumé sage et fidèle; que le gouvernement placé au centre où se font ressentir toutes les agitations sait mieux que la chambre s’il est besoin de nouvelles armes pour repousser les dangers; que, quant aux principes absolus qu’on invoquait contre la loi proposée, il y a des temps où les nations sont obligées d’en faire le douloureux sacrifice, à moins qu’elles n’aiment mieux périr plutôt que de s’en écarter[1]. M. Royer-Collard ne fera pas entendre en tous temps cette parole, que le pouvoir légitime est toujours présumé sage et fidèle, qu’il faut accorder au gouvernement tous les moyens de sûreté qu’il demande et mettre quelquefois de côté les principes; mais le fond de sa pensée était celui-ci : le gouvernement d’aujourd’hui est plus ami de la vraie liberté que les deux oppositions hypocrites qui le combattent. La gauche ne veut pas qu’il se défende contre les complots, parce qu’elle voudrait relever ou la convention ou l’empire, et la droite ne veut faire rejeter la loi que pour renverser le ministère et en établir un autre plus ami du régime ancien. — S’il avait tenu ce langage, il aurait soulevé des tempêtes, et on l’aurait accusé de déverser la calomnie. Il fallait donc avoir l’air de discuter des principes, quand dans le fond on repoussait des entreprises coupables. C’est presque toujours là le secret de l’éloquence politique: celui qui cache le mieux la réalité du débat, et sur les misérables intérêts qui s’agitent jette le manteau le plus majestueux, atteint le comble de l’art. M. Royer-Collard à la tribune a dû plus d’une fois regretter sa chaire et se répéter en secret : Ici je ne dis pas ce que je voudrais dire; là bas, tout ce que disais, je le pensais, et tout ce que je pensais, je le disais.

Cependant, à mesure qu’on avance dans la carrière politique de

  1. Discours du 14 janvier 1817.